Deuxième réponse à « 5 raisons pour lesquelles je ne crois pas à la présence réelle dans l’Eucharistie » : Les fondements bibliques de l’Eucharistie

La multiplication des pains : quelques heures avant le discours du pain de vie, alors que la Pâque était proche
Cet article est la deuxième réponse d’une discussion sur la présence réelle dans l’eucharistie. Vous pouvez lire le dernier article-réponse de Mr Bourin ici, ainsi que ma première réponse ici. Je reprends dans cet article les mêmes sous-titres que G.B. pour faciliter la compréhension.

Remarque préliminaire : ce que Miguel Morin n’aborde pas

Il est vrai que je n’ai pas abordé les remarques préliminaires dans ma première réponse. J’aurais probablement dû le faire et je le ferai maintenant. Premièrement, je trouve que les passages cités par G.B. au sujet de la manne peuvent renforcer l’aspect réaliste de la nourriture proposée par Jésus. La manne que Dieu avait donnée aux Israélites était une vraie nourriture et l’eau sortie du rocher était un vrai breuvage. Pour tenir une interprétation uniquement métaphorique du pain de vie de Jean 6, il  faut donc avoir une raison de penser que cette nouvelle manne ne sera pas vraiment une nourriture comme la manne précédente, mais seulement un acte de foi ou une manducation spirituelle. Par exemple, si on dit que la manne était la Parole de Dieu et qu’elle devait être aussi littéralement mangé (à moins de nier l’historicité de cet événement, ce que je ne crois pas que G.B. ferait), pourquoi devrait-on penser que Jésus, Parole de Dieu fait chair, ne pourrait pas être aussi littéralement mangé?

Dans ses remarques préliminaires, G.B. insiste que « la connexion textuelle la plus immédiate est […] le miracle de la multiplication des pains » et il affirme aussi que « le lien avec l’instauration de la Cène par Christ n’y est pas directement avéré ». Je ne suis pas d’accord avec cela. Les références à  sa chair (ou son corps, nous y reviendrons plus tard) et à son sang qu’il nous donnera à manger et à  boire sont bien près des paroles que Jésus prononcera à la Cène (j’y reviendrai aussi plus tard). Mais il n’y a pas que cela. Pour nous signifier que ce passage de Jean 6 réfère à la Cène, Jean place ce discours de Jésus dans une trame narrative précise.  Au début de Jean 6, Jean nous indique que la Pâque était proche (Jean 6,  4) et le discours se termine avec l’annonce de Judas qui trahira Jésus (Jean 6, 70-71). Connaissez-vous d’autres passages des Évangiles qui commencent par une évocation de la Pâque et dans lequel on y retrouve aussi la trahison de Judas? Les trois récits de la Cène des évangiles synoptiques! (voir Matthieu 26, 19-25, Marc 14, 16-21, Luc 22, 1-23).

Il y a là aussi une autre allusion à la Cène où sont utilisés ce qu’on appelle les 4 verbes eucharistiques : prendre, rendre grâce, rompre et donner. Voici un exemple de la Cène en Luc 22,19 « Et il prit du pain, et, après avoir rendu grâces, il le rompit et le leur donna … » (voir aussi Matthieu 26,26 et Marc 6, 41). Au chapitre 6 verset 11, on peut lire : «  Jésus prit les pains, et ayant rendu grâces, il les distribua à ceux qui étaient assis … » Les lecteurs attentifs remarqueront qu’un des 4 verbes, rompre, semble absent. Mais nous le retrouvons de façon plus implicite au verset suivant lorsqu’on dit : « Lorsqu'ils furent rassasiés, il dit à ses disciples: "Recueillez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde." ». Le terme traduit ici par morceaux (klasma) est dérivé du verbe rompre (klaō).  Je crois donc qu’il y a là une autre raison de comprendre le contexte des paroles de Jean 6 en lien avec la Cène. J’irais même jusqu’à dire que c’était là l’intention délibérée de Jean.

Si vous vous souvenez, G.B. disait dans son premier article : « Quelqu’un cherchant à donner une signification eucharistique à ce passage s’attendrait logiquement à y trouver quelque mention de la Pâque des enfants d’Israël (Exode 12) : peine perdue, il est impossible d’y trouver la moindre référence. » Notez qu’on n’y retrouve effectivement pas de lien direct vers Exode 12, mais on peut trouver une référence directe à la Pâque en Jean 6, 4 comme nous l’avons vu  précédemment.

Personnellement, je pense qu’une fois les liens entre le discours du pain de vie, la Cène et la Pâque juive démontrés, je vois difficilement comment on pourrait justifier une meilleure clé d’interprétation que de lire la Cène (repas pascal) comme un accomplissement de ce discours. Est-ce que cela ne demanderait pas d’autres éléments textuels exceptionnels allant dans un tout autre sens pour nous faire abandonner cette clé d’interprétation? Trouvez-vous que les objections de G.B. sont assez puissantes pour nous la faire abandonner? Réexaminons-les encore sous cet éclairage.

Contre-argument #1: il existe au moins un “Je suis” littéral dans l’Évangile de Jean

Je ne veux pas prendre du temps sur ce point dans cette réponse, car je ne crois pas que cela soit un point décisif dans la discussion. C’est assez secondaire selon moi de savoir si « Je suis le pain de vie » est la seule exception ou non.

Contre-argument #2: la métaphore laisse progressivement la place à un langage littéral

Je comprends que G.B. n’ait pas le choix, à cause de son interprétation uniquement métaphorique du discours du pain de vie, de dire que dans les versets 50 à 58 « on revient de nouveau à ces deux notions [venir (et non manger) pour ne plus avoir faim et croire (et non boire) pour ne plus avoir soif] ». Il donne comme justification l’alternance d’éléments métaphoriques et non métaphoriques qui nous donneraient la clé d’interprétation pour les versets 50-58, où Jésus insiste davantage sur le fait de manger et de boire et aussi sur le fait que sa chair est une vraie nourriture et son sang une vraie boisson. Personnellement, je ne trouve pas cela très convaincant, surtout avec les liens avec la Pâque et la Cène que j’ai présentés plus haut. De plus, en examinant les endroits où l’expression « manger la chair » est utilisée de façon métaphorique dans la Bible, le contexte semble signifier le fait de traiter quelqu’un avec cruauté ou violence et non le fait d’accepter sa doctrine (voir Psaume 27, 2; Job 19, 22; Michée 3, 3; Apocalypse 17, 16)… et Jésus ne promet certainement pas la vie éternelle à ceux qui l’ont violenté.

Je crois que les mots utilisés dans les évangiles ne sont pas des mots choisis à la légère (G.B. aussi d’ailleurs, car il semble insister sur la  différence entre « chair » et « corps » pour prouver son point #3). Mais contrairement à ce qu’en pense G.B, voici 3 raisons de penser que le choix du terme « trogo » est significatif pour l’interprétation des versets 53 à 58 :

  • Le terme « trogo » n’apparaît uniquement dans les versets 53 à 58, ceux qui doivent selon moi être interprété sans aucun doute de façon réaliste.
  • Ce terme exprime une gradation croissante du sens physiologique de manger par rapport au terme « esthio », utilisé dans les autres parties du discours. Le fait qu’on puisse à l’occasion interchanger les termes « trogo » et « esthio » n’enlève rien  à la puissance de cet argument, car c’est l’effet de gradation qui est important ici et non pas le cas où on aurait choisi un terme plutôt  que  l’autre à l’intérieur  d’un certain texte. Par exemple, le fait d’utiliser le terme « trogo » n’aurait pas la même force si on n’avait pas auparavant utilisé « esthio » dans le même discours. Cette gradation (et surtout en période où Jésus cherche à expliquer plus précisément ce que ses auditeurs semblent avoir de la difficulté à croire) ne peut être sans fondement ou sans cause. Cependant, cela s’explique parfaitement si Jésus voulait s'assurer que son auditoire comprenne les versets 53-58 de façon littérale.
  • Dans la partie importante du discours plus réaliste (que je considère être les versets 53 à 58, après que les juifs murmurent une dernière fois entre eux pour manifester leurs difficultés avec le discours de Jésus, au verset 52), le terme « trogo » est utilisé 4 fois et le terme « esthio » seulement 2 fois. G.B. peut dire que le terme « esthio » est  utilisé plus fréquemment (5 fois contre 4) uniquement car  il découpe le passage à partir du verset 50, gagnant ainsi 3 occurrences pour le  terme « esthio », mais ce découpage me semble un peu défectueux, car il ne tient pas  compte que Jésus répond explicitement à la question des juifs « comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger? » uniquement à partir du verset 53 et c’est à ce point qu’il devient plus littéral et que l’utilisation de « trogo » prend tout son sens et sa signification.
Je voudrais maintenant examiner ce qui s’est déroulé dans cette scène du discours du pain de vie. Si on accepte l’interprétation de G.B., que le pain de vie ne serait qu’une métaphore au fait de croire en Jésus et de se nourrir spirituellement de sa parole, alors cet épisode du discours du pain de vie est non seulement une exception par rapport à ce qu’on retrouve habituellement dans les évangiles, mais cela fait aussi de Jésus un enseignant maladroit dans ce discours.

Généralement, lorsque Jésus voit qu’on ne comprend pas ses paroles, il aide ses auditeurs à bien comprendre. Lorsque Jésus voit que ses auditeurs ont bien compris, mais qu’ils refusent de le croire, alors il ajoute de l’emphase sur ce qu’il a dit et les laisse partir en connaissance de cause. Examinons quelques exemples afin d’illustrer cela :

Voici deux exemples d’occasions du premier cas, où Jésus donne davantage d’explications lorsque des auditeurs ne comprennent pas ce qu’il veut dire. Par exemple, lorsqu’ils prennent littéralement ce qu’il enseigne métaphoriquement.
  • Jean 3, 1-15 : Lorsque Nicodème croit que Jésus veut dire qu’il faut retourner dans le ventre de sa mère pour naître de nouveau, il lui explique que naître de nouveau est en fait renaître de l’eau et de l’Esprit.
  • Matthieu 16, 5-12 : Jésus explique à ses disciples que le levain des Pharisiens et des Sadducéens n’est pas leur pain, mais en fait leurs doctrines.
Voici deux exemples du second cas, où Jésus ajoute encore plus d’emphase sur la réalité qu’il enseigne devant un refus de croire en toute connaissance de cause de ses auditeurs :
  • Matthieu 9, 2-7 : Jésus insiste sur son pouvoir de pardonner les péchés en guérissant le paralytique au moment où les scribes l’accusent de blasphème.
  • Jean 8, 56-59 : Jésus insiste sur le fait qu’il est éternel pendant que les juifs lui reprochent qu’il n’a même pas 50 ans.
Le troisième cas, qu’on ne peut pas trouver dans les évangiles, à moins bien entendu d’interpréter tout le discours du pain de vie de façon métaphorique, est une situation où Jésus dit quelque chose qui n’est pas bien compris par ses auditeurs et qu’il continu pourtant à mettre l’emphase sur cet enseignement dans le même sens que leur erreur d’interprétation (ce qui peut les pousser à l’égarement).

J’aurais une petite question pour G.B.. Sachant que les auditeurs de Jésus prenaient les paroles de Jésus sur le pain et sa chair de façon littérale (on le constate de par leur question au verset 52), était-ce une bonne stratégie pour Jésus de mettre l’emphase sur le fait de manger sa chair et d’insister que sa chair est une vraie nourriture, ou n’aurait-il pas été plus judicieux de leur dire simplement que de manger sa chair signifie en réalité de croire en lui (et en son œuvre) et de se nourrir de sa parole?

Cependant, on note que dans le cas d’une interprétation littérale de ce passage, l’attitude de Jésus est irréprochable et ceux qui ont quitté Jésus l’on fait en étant bien renseigné sur ce qu’ils faisaient.

Contre-argument #3: l’usage du mot “chair” n’est pas déterminant

G.B. utilise le fait que le passage de Jean 6 utilise le terme « sarx » (chair) au  lieu de  « soma » (corps), pour nier le parallèle entre la chair de Jésus présenté en Jean 6 et le corps du Christ présenté à  la Cène. Si vous vous souvenez, j’avais dit que « le pas à franchir entre la réalité de la chair du Christ et celle du corps du Christ ne me semble pas si grand ». Voici deux raisons pour lesquelles je crois cela :
  • Les  paroles employées par Jésus sont semblables dans les deux cas. Comparer le verset 51 (au  futur) : « le pain que je donnerai, c'est ma chair, pour le salut du monde » et « Ceci est mon corps, donné pour vous » (présent) lors de la Cène (Luc 22,19). 
Si le Nouveau Testament se permet d’interchanger à l’occasion les deux termes, je ne vois pas en quoi ce serait une interprétation abusive de dire que la chair de Jésus de Jean 6 est le corps du Christ donné à la Cène.

Contre-argument #4: le parallèle entre les v. 40 et 54

Je ne nie pas le parallèle qu’il y a, par exemple, entre les versets 40 et 54. Sauf que pour moi, ce parallèle n’est pas qu’une explication de Jésus, il  appelle à un cheminement dans la foi. Jésus veut que ses auditeurs croient en lui, en ce qu’il fera pour eux sur la croix, mais aussi, et surtout dans ce contexte,  à ce qu’il fera pour eux dans l’Eucharistie.

G.B. affirme « Je ne vois vraiment pas comment, en toute bonne conscience, on peut en arriver à de pareilles conclusions ». Il me semble que j’ai  maintenant davantage exprimé et clarifié mes raisons dans les points précédents.

Contre-argument #5: le cheminement dans la foi

Concernant la foi et l’eucharistie, je ne suis pas en train d’établir deux moyens de salut et encore moins deux qui serait indépendant. Je dis que Jésus voulait que ceux qui croient en lui et qui se nourrissent de sa parole mangent son  corps et boivent son sang dans l’eucharistie, comme on l’enseigne dans l’Église catholique et dans les Églises orthodoxes. Il n’y a pas d’opposition entre ces  deux réalités et il ne s’agit pas de deux « chemins » menant au salut. Je crois que dans l’ordre voulu par Jésus, tous ses disciples auraient cru en lui, se nourriraient de sa parole et participeraient à  l’Eucharistie.

Contre-argument #6: le caractère cannibalistique des propos de Christ

Au sujet de la remarque de G.B. : « M.M. part du principe que le lien avec la Cène est avéré », je suis conscient qu’il y avait une lacune dans mon article  précédent au niveau des remarques préliminaires. Je  crois cependant avoir corrigé cela dans cet article et je crois avoir offert de bonnes pistes pour démontrer le lien entre la Cène, la Pâque et Jean  6.

Pour ce qui est du symbolisme du sang qui pointe davantage vers la mort violente que vers la vie, je ne nie pas que Jésus veule aussi que ses auditeurs croient à  son sacrifice sur la croix. Le sacrement de l’Eucharistie est en fait possible parce que Jésus s’est d’abord offert en victime sur la croix pour nos péchés. Cependant, une fois le lien avec la Cène établi, il est légitime de penser que le sang que nous devons boire pour avoir la vie éternelle est le sang versé pour la multitude en rémission des péchés de la coupe eucharistique.

Contre-argument #7: la chair ne sert à rien

G.B. me demande : « si Christ, dans tout le passage, cherche à mettre en avant la nécessité de consommer sa chair pour accéder au pardon et à la résurrection, pourquoi conclut-il en disant “la chair ne sert à rien” ». Je crois qu’une piste de réponse se trouve dans sa question elle-même. Jésus conclut en disant que LA chair ne sert de rien, mais il dit dans son discours que SA chair doit être consommée. La chair qui doit être consommée est sa chair, son corps. Mais la chair qui ne sert de rien est la chair au sens du jugement selon la chair, en relation avec le jugement selon l’esprit. Jésus veut dire qu’il ne faut pas juger selon  la chair, c'est-à-dire avec nos raisonnements humains, mais selon l’Esprit. Donc, les paroles qu’il vient de dire, même si elles nous paraissent dures ou incroyables (comme pour ceux qui refusent la présence réelle) ne peuvent être cru que dans la foi et par la mouvance de l’Esprit.

Contre-argument #8: la nécessité de croire ne s’oppose pas à la nécessité de la présence réelle

Si je ne commente pas les allusions aux textes de l’Ancien Testament, c’est que je suis plutôt d’accord avec ces allusions. La différence entre moi et G.B., c’est que G.B. croit que parce que l’action de manger la chair de Jésus signifie croire en  son sacrifice sur la croix et se nourrir spirituellement de sa parole, alors cela implique que Jésus n’enseigne pas la présence réelle dans ce discours. Cela est dû en fait à sa clé d’interprétation où il voit la deuxième portion (que je crois plus réalisme) comme une répétition de ce que Jésus a annoncé auparavant.

Au fait, il y a des discussions chez ceux qui interprètent la finale du discours (à partir du verset 50) du pain de vie de façon réaliste, à savoir si les parties précédentes doivent absolument être interprétées aussi de façon réaliste ou s’ils pourraient être interprétées de façon métaphorique (un peu comme le propose G.B. pour tout le discours). Je n’ai pas d’opinion arrêtée sur ce sujet et c’est pourquoi je n’estime pas à avoir à réfuter une interprétation métaphorique des versets précédents le verset 50 pour prouver le « réalisme » des propos de Jésus après le verset 50.

Conclusion

Avec les éclaircissements et les raisons pour la présence réelle que j’ai présentés dans ce texte, je crois pouvoir dire que la doctrine de la présence réelle est un enseignement qui est bibliquement fondé. Je ne suis pas le seul à penser ainsi et la présence réelle n’est pas qu’une affaire de catholiques. Les chrétiens orthodoxes croient aussi à la présence réelle et aussi certains chrétiens « protestants » comme les anglicans et les luthériens (quoique ces deux derniers aient des visions différentes sur ce que cela implique).

Voici ce que disait J. N. D. Kelly, théologien et historien anglican très respecté, au sujet de l’interprétation de ce texte de Jean 6 et de d’autres textes concernant l’eucharistie dans le Nouveau Testament:
« Il faut comprendre d’abord que l’enseignement eucharistique était généralement, et sans équivoque, réaliste, c’est-à-dire que le pain et le vin consacrés devaient être considérés, traités et désignés en tant que corps et sang du Sauveur. (J. N. D. Kelly, Early Christian Doctrine, p.440) »
Je conclus en félicitant Mr Bourin pour son sérieux dans cette démarche et pour sa conduite respectueuse dans cette discussion. Puisse ces échanges, à défaut de nous faire changer d’avis, être source d’une meilleure compréhension de nos positions différentes.

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