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Les tentations du Christ (Saint Marc, XIIe siècle)

D'où vient le Carême? Depuis quand l'Église a-t-elle commencé à célébrer le Carême? Pourquoi dure-t-il quarante jours? A-t-il toujours été aussi long? Quel rôle les papes ont-ils joué dans la fixation du calendrier liturgique du Carême et de Pâques?

Beaucoup de réponses à ces questions sont trouvées, ou du moins sont laissées entendre, dans un article de Tim Kimberley de Reclaiming the Mind (le blog anglais du ministère protestant Credo House) et qui est convenablement appelé « Une courte histoire du carême ». C'est un bon début, mais Kimberley recense un certain nombre de détails erronés et il omet des choses importantes. Utilisons tout de même l'article comme un point de départ, tout en lui apportant des corrections au besoin.

I. Pourquoi le Carême dure-t-il quarante jours?

Tout d'abord, pourquoi le Carême dure-t-il quarante jours? Parce que cela est biblique, comme le rappelle l’article de Kimberley :

Le nombre 40 a eu une importance significative tout au long de l'histoire biblique. Les pluies sont tombées sur Noé dans l'arche pendant 40 jours et 40 nuits. Moïse était sur le mont Sinaï recevant les Dix Commandements pendant 40 jours et 40 nuits. Élie marcha 40 jours et 40 nuits vers la montagne du Seigneur. Le plus important, Jésus a jeûné et a prié pendant 40 jours et 40 nuits avant de commencer son ministère public.

Voici quelque chose qui n'est pas explicite dans l'Écriture, mais qui est néanmoins fascinant: « les premiers chrétiens croyaient que Jésus était mort dans le tombeau pendant 40 heures ». Si l’on suppose que le Christ était dans le tombeau à partir de 16 heures le Vendredi saint jusqu'à l'aube du Dimanche de Pâques, cela donne à peu près 40 heures. Si cela est vrai, ce serait une explication fascinante pour expliquer pourquoi le nombre 40 était un nombre si important pour signifier la préparation, à la fois dans l'Ancien et le Nouveau Testament.

II. Depuis quand fête-t-on le Carême?

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Saint Irénée de Lyon (130 - 202)

Kimberley explique:

Nous pouvons retracer le Carême jusqu’aux disciples. C'est assez extraordinaire. Le théologien héroïque Irénée (qui mourut en 203 et qui fut disciple de Polycarpe, qu’on croit être lui-même être le disciple de l'apôtre Jean) écrivit une lettre à Victor I. Cette lettre fut heureusement consignée par l'historien Eusèbe. Irénée raconte à Victor les célébrations de Pâques. Dans cette lettre, il écrit: 
« Le conflit n'est pas seulement sur le jour, mais aussi sur le caractère réel du jeûne. Certains pensent qu'ils devraient jeûner pour un jour, quelques-uns pour deux, d'autres pour encore plus; certains font le dernier « jour » durer 40 heures. Une telle variation de l'observance ne provient pas de notre temps, mais de beaucoup plus tôt, au temps de nos ancêtres » (Eusèbe, Histoire de l'Église, V, 24).

D’une part, c'est formidable que Kimberley explique l'incroyable antiquité du Carême et il est en plein dans le mile en choisissant Irénée comme preuve. Irénée, le petit-fils spirituel de l'apôtre Jean, décrit, à la fin des années 100, une période de jeûne avant Pâques qui vient « de beaucoup plus tôt, au temps de nos ancêtres ». Irénée décrit un jeûne intense de quarante heures, plutôt qu'un jeûne moins intense pendant quarante jours, mais les contours du Carême y sont clairement présents.

III. Qu'en est-il le rôle de la papauté?

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Pape Saint Victor I
Ce que Kimberley ne mentionne pas, c'est qui est exactement ce « Victor I », dans la section citée plus haut. Est-ce Victor I de Tombouctou? L’empereur Victor I? Comme vous l'avez peut-être deviné, Irénée écrit au pape saint Victor Ier. En fait, dans cette même section de l'Histoire de l'Église que Kimberley cite, Eusèbe se réfère à lui comme étant le « Victor, qui a présidé à l'église à Rome ». Il n’y a donc aucune ambiguïté.

Mais voici ce qui rend cette histoire si fascinante. Les églises d'Asie Mineure avaient des traditions anciennes liées à la fête de Pâques et à la saison pénitentielle antérieure à celle-ci, qui différaient du reste de l'Église. La question qui se posait à l'Église primitive est la suivante: la Pâque doit-elle toujours être célébrée un dimanche ou doit-elle être liée au début de la Pâque (juive)? Alors que la majorité de l'Église avait déclaré qu’elle doit être toujours célébrée un dimanche, les églises aux environs de l'Asie Mineure avaient dit de le faire sur la base de la date de la Pâque.

Pendant un certain temps, l'Église a tout simplement toléré cette diversité, mais dans les années 190, le pape Victor I a voulu y imposer plus d'uniformité. Il a déclaré que toute l'Église universelle devait fêter la Pâques le dimanche et il a excommunié ces évêques qui ne voulaient pas bouleverser leurs traditions locales avec leurs diocèses entiers. Bien que le pape avait certainement l’autorité de le faire, cela semblait exagéré et provoqua des protestations d'autres évêques (comme Irénée, qui, en plus d'être un « théologien héroïque », était évêque de Lyon, en France, et un ardant défenseur de la succession apostolique de la papauté jusqu’à saint Pierre).

Notez bien ce qui dérange ces autres évêques. Ce n'est pas l'idée que l'évêque de Rome ait ou non le pouvoir de discipliner et même d'excommunier n'importe qui, n'importe où dans l'Église, y compris d'autres évêques. C'est plutôt qu'il utilise cette autorité de façon imprudente. Pour y penser de façon analogue: si un père a privé de sortie un de ses enfants pendant un mois parce qu’il se promenait avec ses lacets détachés, les autres enfants s'offusqueraient probablement, non pas parce qu'ils interrogent l'autorité du père à le priver de sortie, mais à cause de la manière cavalière dont il l'a utilisé. Tout cela, bien compris, est une affirmation de l'autorité pontificale dans l'Église primitive, d'autant plus que le dimanche de Pâques a fini par gagner globalement.

IV. La période de 40 jours du carême est-elle une erreur de traduction?

Richard Linderum, Moine Botaniste (19e siècle)
La position la plus faible dans l’article, autrement assez bon, de Kimberley est sa prétention que « la période de Carême de 40 jours peut être une erreur de traduction ». Son argument est que la section que j'ai citée ci-dessus (dans laquelle Irénée décrit un jeûne de quarante heures) a été mal interprétée par Rufinus (340-410) comme étant un jeûne de quarante jours :

Un homme nommé Rufinus a traduit l'Histoire d'Eusèbe de l'Église du grec au latin. Pour une raison quelconque, il a mis un signe de ponctuation entre « 40 » et « heures ». Il a ainsi donné aux gens l’idée que la lettre d'Irénée signifiait « 40 jours de 24 heures ».

Mais après cela, il écrit:

Vers l’an 300, une période de célébration de 40 jours menant à Pâques semble être déjà répandue. Le Concile de Nicée (en 325) mentionne que deux synodes devraient se tenir chaque année, « un avant les 40 jours du Carême ».

Voyez-vous le problème? Le Conseil de Nicée, en 325, considère comme un fait communément admis que le Carême est de 40 jours. Rufinus n'était même pas encore né. Donc, à moins que de croire que les Pères Nicéens voyageaient dans le temps, la théorie de Kimberley ici ne tient pas la route.

Conclusion

Alors voilà. Le carême, sous une forme ou une autre, est célébré depuis incroyablement tôt dans l'Église, peut-être même depuis le temps des apôtres. La pratique est enracinée dans l'Écriture et avant l’an 325, sa durée de quarante jours avant Pâques semble avoir été uniformément acceptée dans toute l'Église. En plus de cela, nous avons vu l’autorité des premiers papes (Victor I, dans les années 190) et des premiers conciles œcuméniques (le premier concile de Nicée, en 325).

Malheureusement, le protestantisme, en rejetant à la fois l'autorité des conciles œcuméniques et de la papauté, est laissé sans mécanisme cohérent pour établir une date unifiée pour célébrer la Pâques ou pour établir une période particulière de temps pour le Carême. Cela dit, il est encourageant que des gens comme Tim Kimberley soient prêts à explorer la question et, espérons-le, que d'autres le suivent pour en faire de même.


Cet article est une traduction personnelle de l’article « Where Does Lent Come From, and Why Do We Celebrate it? » de Joe Heschmeyer.
Ludovico Carracci, Un ange libère les âmes du Purgatoire (1610)

Les catholiques ont-ils raison de prier pour les morts et de croire que ces prières peuvent aider à libérer les âmes du purgatoire? Dans le « Christian Research Journal », Michael F. Ross affirme que « le purgatoire est une idée extrabiblique qui a été importée dans l'Église au Moyen Âge. Qu’il est un produit de la tradition et non de l'Écriture ». D'autres, comme W.Y. Evans-Wentz, ont soutenu l'idée que le purgatoire était d'origine païenne et qui a été inventée à partir de « la doctrine irlandaise de l'Autre Monde », mais surtout à partir du monde souterrain du Sidhe (êtres féériques) ayant été combiné avec la doctrine gréco-romaine de l’Hadès.

Quoiqu'ils en disent,  le fait de prier pour les morts et la croyance dans les feux temporaires du purgatoire n'est ni d'origine médiévale ni païenne. En fait, il existe des preuves évidentes de la croyance juive à cette doctrine qui remontent aussi loin que les croyances chrétiennes sur la question (et qui sont de beaucoup antérieures au Moyen Âge).

Par exemple, beaucoup de chrétiens ne savent pas que c'est une pratique juive commune de prier pour les morts. L'ancienne « lamentation Kaddish » est une prière araméenne toujours priée aujourd'hui et qui est dite au nom des morts. Comme l'explique la librairie virtuelle juive :

L’ancienne lamentation Kaddish est récitée pendant onze mois à partir du jour de la mort et aussi au yahrzeit (anniversaire du décès). Une personne peut dire le Kaddish non seulement pour ses parents, mais aussi pour un enfant, un frère ou un beau-frère. Un fils adoptif devrait le dire pour les parents adoptifs qui l'ont élevé.

Et nous voyons de telles prières pour les morts dans 2 Maccabées 12, 39-45, un texte qui date d'avant le temps du Christ:

Le jour suivant, Judas vint avec les siens, selon qu'il était nécessaire, relever les corps de ceux qui avaient été tués, pour les inhumer avec leurs proches dans les tombeaux de leurs pères. Ils trouvèrent, sous les tuniques de chacun des morts, des objets consacrés, provenant des idoles de Jamnia et que la loi interdit aux Juifs; il fut donc évident pour tous que cela avait été la cause de leur mort. Tous bénirent donc le Seigneur, juste juge qui rend manifestes les choses cachées. Puis ils se mirent en prières, demandant que le péché commis fût entièrement pardonné; et le valeureux Judas exhorta le peuple à se garder pur de péché, ayant sous les yeux les conséquences du péché de ceux qui étaient tombés.
Puis, ayant fait une collecte où il recueillit la somme de deux mille drachmes, il l'envoya à Jérusalem pour être employée à un sacrifice expiatoire. Belle et noble action, inspirée par la pensée de la résurrection! Car, s'il n'avait pas cru que les soldats tués dans la bataille dussent ressusciter, c'eût été chose inutile et vaine de prier pour des morts. Il considérait en outre qu'une très belle récompense est réservée à ceux qui s'endorment dans la piété.

Que vous acceptiez ou non 2 Maccabées comme faisant partie de l’Écriture, cela montre clairement que ces prières pour les morts eurent lieu pendant des siècles, voire des millénaires, avant le Moyen Âge. C’est également significatif puisque la plupart des chrétiens à travers l'histoire ont accepté 2 Maccabées comme faisant partie de l'Écriture inspirée. Il n'était donc pas nécessaire de se tourner vers le paganisme irlandais ou romain pour retrouver cette idée: cette idée était déjà là dans nos Bibles.

Significativement, cette pratique juive de prier pour les morts est étroitement liée à l'idée que cela libère les âmes des morts. Le midrash « Tanna Devei Eliyahu » (תנא דבי אליהו) le montre clairement. La traduction en français (du texte anglais ici) se lit comme suit:


- Rabbi Yochanan ben Zakkai a dit: « Une fois, je suis allé le long du chemin et je suis tombé sur un homme qui ramassait du bois. Je lui ai parlé, mais il n'a pas répondu. Ensuite, l'homme est venu me dire: Rabbi, je suis mort, pas vivant. » 
- Je lui ai demandé : « Si vous êtes mort, pourquoi avez-vous besoin de ce bois? » 
- Il répondit: « Rabbi, écoute ce que je vais te dire. Pendant que j'étais en vie, mon compagnon et moi-même commettions le péché dans mon manoir. Quand nous sommes venus dans ce monde, nous avons été condamnés à la brûlure. Pendant que je ramasse du bois, ils brûlent mon ami et pendant qu'il ramasse du bois, ils me brûlent.
- J'ai demandé : « combien de temps cette sentence doit-elle durer? » 
- Le mort répondit: « Quand je suis venu dans ce monde, j'ai laissé derrière moi une femme enceinte. Je sais qu'elle attend un garçon. Je vous en prie, gardez un œil sur lui depuis le moment où il sera né jusqu'à ce qu'il ait cinq ans. Ensuite, amenez-le à l'école et au moment où il répondra: «Béni soit Hachem qui est béni », je serai libéré du jugement dans la géhenne.

Il s'agit donc d'une description juive d'une âme souffrant par le feu après sa mort de façon temporaire et qui sera libéré à cause des prières de son fils. Cette tradition est attribuée à Rabbi Yochanan ben Zakkai (ou Johanan ben Zakai), un rabbin du premier siècle. Le texte lui-même date probablement du milieu du troisième siècle, encore longtemps avant le Moyen Âge et loin de toute influence irlandaise.

Tout cela est une toile de fond importante pour les débats chrétiens sur le Purgatoire et les prières pour les morts. Tout d'abord, il montre que les doctrines catholiques ne sont pas le résultat d'accrétions païennes au christianisme datant du Moyen Âge, mais un reflet des racines juives du christianisme. Cela devrait nous indiquer comment nous approcher des preuves bibliques. Par exemple, il est beaucoup plus plausible que 1 Corinthiens 3, 12-15 soit une référence Purgatoire si l’on est conscient qu'il y avait également une compréhension juive contemporaine au sujet du feu temporaire du purgatoire. Ainsi, la déclaration de Jésus dans Luc 12, 59 («Je te le déclare, tu n'en sortiras pas tant que tu n’auras pas payé jusqu’au dernier centime ») fait du sens à la lumière de la croyance juive en la Gehenna (géhenne) comme un lieu de purgation temporaire. Même l'argument protestant le plus fort contre la prière pour les morts (qu'il n'y a pas d'instructions précises à ce sujet dans le Nouveau Testament) est grandement affaibli quand nous réalisons que les croyants du premier siècle priaient déjà pour les morts.

L'encyclopédie juive a aussi un article sur le Purgatoire. On y trouve plusieurs autres exemples démontrant les croyances juives sur la question:

La vision du purgatoire est encore plus clairement exprimée dans les passages rabbiniques, comme dans l'enseignement des Shammaïtes: «Au dernier jour du jugement, il y aura trois classes d'âmes: les justes seront à la fois écrits pour la vie éternelle; les méchants, pour la Gehenna; mais ceux dont les vertus et les péchés se contrebalancent l'un l'autre descendent à la Gehenna et flottent de haut en bas jusqu'à ce qu'ils se soulèvent purifié; car il est dit: «J'apporterai la troisième partie au feu, je les raffinerai comme l'argent sera raffiné et je les jugerai comme l'or est jugé » (Zacharie 13, 9]; aussi, « Il [le Seigneur] fait descendre au Schéol et ressusciter » (1 Samuel 2, 6). Les Hillelites semblent n'avoir eu aucun purgatoire; car ils disaient: « Celui qui est « plein de miséricorde »[Exode 34, 6] incline l'équilibre vers la miséricorde et par conséquent, les intermédiaires ne descendent pas dans la Gehenna »(Tosef, Sanh, XIII, 3, R.H. 16b, Bacher, Ag. Tan.) Ils parlent cependant d'un état intermédiaire.


Cet article est une traduction personnelle de l’article « Jewish purgatory » de Joe Heschmeyer.
Je vous invite à découvrir le site 30 prophéties. Il nous démontre comment 30 prophéties de la tradition juive ancienne au sujet du Messie s’accomplissent dans la tradition chrétienne.

Le site est une création de gens chez « Marie de Nazareth » avec lesquels j’ai collaboré pour la réalisation du site.


Cliquez sur l'image pour voir le site 


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Domenichino, La Vierge à la Licorne (1605)

Une des difficultés pour certains d'accepter le christianisme est que certaines des choses décrites dans la Bible sont... un peu bizarres. Par exemple, vous avez un serpent parlant dès les premières pages... et même lorsqu’on s’aperçoit que ce « serpent » est en fait un ange déchu, cette réalisation ne rend pas la scène moins étrange. Puis ensuite, nous entendons parler de « Yahweh Dieu passant dans le jardin à la brise du jour » (Genèse 3, 8).

À cause de cela, beaucoup de lecteurs modernes veulent traiter ce livre comme s’il était entièrement qu'une œuvre de fiction. Mais avant de se précipiter vers cette conclusion hâtive, considérons un autre récit historique lui aussi apparemment fantastique : le rapport de Marco Polo, qui rapporte avoir vu des licornes à Ferlec (en Indonésie moderne):

Et même, tous ceux de l'île, ils se réclament pour siens ; quelques fois, seulement lui font présent de choses étranges : éléphants, unicornes ou autres, et spécialement une espèce d'autours noirs, par l'entremise de ceux qui passent par là. Ils ont maints éléphants sauvages, et assez d'unicornes, qui ne sont guère moins gros qu'un éléphant ; ils ont le poil du buffle, le pied comme celui de l'éléphant, une corne au milieu du front, très grosse et noire. Et vous dis qu'il ne fait aucun mal aux hommes et aux bêtes avec sa corne, mais seulement avec la langue et les genoux, car sur sa langue il a des épines très longues et très aigües? Quand il veut détruire un être, il le piétine et l'écrase par terre avec les genoux, puis lui inflige les maux qu'il fait avec sa langue. Il a la tête comme sanglier sauvage, et la porte toujours inclinée vers la terre ; il demeure volontiers dans la boue et la fange parmi les lacs et les forêts. C'est une très vilaine bête à voir, et dégoûtante. Il n'est point du tout comme nous, d'ici, disons et décrivons, quand nous prétendons qu'il se laisse attraper par le poitrail par une pucelle.

Il serait tentant de traiter ce récit comme étant entièrement un conte de fées, comme c’est souvent la manière dont les athées approchent l'Écriture. De voir en ce récit uniquement un conte de fées. Mais ce n'était pas un conte de fées. Il a vraiment vu les « licornes » qu'il décrit. Il lui manquait juste le langage pour les décrire.

L'animal rencontré par Marco Polo était probablement un rhinocéros, mais les Européens n'avaient jamais vu ou entendu parler d'un tel animal et ils n'avaient donc pas de mot pour cela. Alors, qu'est ce qu'il a fait? Il utilisa un mot existant, « licorne », et il expliqua comment les licornes de Ferlec ne ressemblaient pas aux licornes de l'imagination européenne. C'est une très bonne approche. L'approche alternative aurait été de créer un nouveau nom pour l'animal, comme « rhinocéros ». Mais il faut gardez à l'esprit que ce nom aurait été mystérieux, voire dénué de sens, pour ses lecteurs.



Les voyages de Marco Polo m'apparaissent comme un bon exemple de la situation biblique. Les Écritures nous décrivent des réalités – l’Éden, les anges, le ciel, le Dieu trinitaire – qui sont drastiquement plus mystérieuses et étrangères pour nous que la Chine et l'Indonésie l’étaient aux Européens du temps de Marco Polo. Ainsi, les réalités décrites dans l'Écriture sont, par définition, au-delà des limites du langage.

Le langage humain existe pour décrire les choses que nous avons vécues. Nous n'avons pas de mots pour les idées que nous n'avons pas conçues. Alors, quand il y a quelque chose d'aussi radicalement différent que Dieu ou le monde spirituel, il nous manque tout simplement le langage pour les décrire. Nous sommes donc forcés de faire l’une de ces deux choses. Soit nous utilisons un mot que nous avons, mais qui ne convient pas tout à fait; ou nous inventons un mot dont le sens est obscur. En d'autres termes, soit nous utilisons « licorne », soit nous inventons « rhinocéros ».

En théologie, cela est décrit comme un triple mouvement. Tout d'abord, il y a une « via positiva », dans laquelle vous décrivez Dieu: il est juste, bon, etc. Ensuite, il y a la « via négativa », dans laquelle vous enlevez toutes les manières dont vos descriptions sont en deçà de la réalité de Dieu. Par exemple, quand nous disons que Dieu est « bon », nous ne voulons pas dire qu'il se comporte bien ou qu'il suit une loi morale qui lui est imposée. Et quand nous disons qu'il est « juste », nous ne voulons pas dire qu'il paie ce qu'il doit, comme s'il était redevable à quelqu'un. De cette façon, nous agissons comme Marco Polo, qui a rapidement indiqué les différentes manières dont les « licornes » qu'il voyait étaient différentes du sens ordinaire des « licornes » pour les Européens. La dernière voie est le chemin de la supériorité : celle de reconnaître que la bonté et la justice de Dieu sont au-delà de la nôtre et qu’elles sont l'origine et la source de la nôtre.

Voilà comment cela fonctionne quand nous appliquons une parole humaine pour décrire Dieu. L'alternative serait de créer un vocabulaire spécial pour décrire les concepts théologiques ou les réalités spirituelles et ainsi nous obtenons des mots comme « chérubins » qui chatouillent l'imagination, mais défient la description facile. Mais ce sont toujours nos deux mêmes options: la licorne et le rhinocéros.

Les Écritures elles-mêmes démontrent ce point à leur manière. Bien que le langage anthropomorphique soit souvent utilisé (comme « la main de Dieu » et d’autres exemples), il était interdit aux juifs de représenter Dieu visuellement. Il est toujours ce qui est au-delà de la représentation, au-delà de la description et dont même le nom est mystérieux. Toute tentative de représenter Dieu - en fait, toute tentative même de l'imaginer - tombe toujours en deçà de sa réalité infinie.

Saint Paul souligne que « des choses que l'œil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues, et qui ne sont pas montées au cœur de l'homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment. » (1 Corinthiens 2, 9). Il nous dit: ces choses dont nous parlons? Ils sont au-delà de ce que ne vous avez jamais vu, entendu ou même imaginé. C'est loin de l'image du Ciel des anges-jouant-de-la-harpe-sur-les-nuages qui est associée au christianisme.

Tout cela signifie que si nous nous faisons une lecture trop littérale de certaines descriptions (ou si nous étiquetons le livre comme étant seulement une fiction en raison d'une lecture trop littérale de ces passages), les chances sont bonnes que nous ayons raté ce qui est important. Peut-être que c'est simplement qu'une chose au-delà de la description, une chose au-delà de notre capacité de comprendre ou de l’imaginer, qui nous est décrite en langage simplifié et que cela nous permet d'obtenir une part de vérité.

Un jour, si Dieu le veut, nous serons dans cet endroit où nous pouvons voir la plénitude de la Gloire et regarder en arrière avec un sourire en réalisant comment incomplètes et comiques étaient nos représentations théologiques… de la même façon dont nous pourrions rire aujourd'hui des Européens confondant rhinocéros et licornes.


Cet article est une traduction personnelle de l’article « The Strangeness of Biblical Imagery » de Joe Heschmeyer.