Ludovico Carracci, Un ange libère les âmes du Purgatoire (1610) |
Les catholiques ont-ils raison de prier pour les morts et de croire que ces prières peuvent aider à libérer les âmes du purgatoire? Dans le « Christian Research Journal », Michael F. Ross affirme que « le purgatoire est une idée extrabiblique qui a été importée dans l'Église au Moyen Âge. Qu’il est un produit de la tradition et non de l'Écriture ». D'autres, comme W.Y. Evans-Wentz, ont soutenu l'idée que le purgatoire était d'origine païenne et qui a été inventée à partir de « la doctrine irlandaise de l'Autre Monde », mais surtout à partir du monde souterrain du Sidhe (êtres féériques) ayant été combiné avec la doctrine gréco-romaine de l’Hadès.
Quoiqu'ils en disent, le fait de prier pour les morts et la croyance dans les feux temporaires du purgatoire n'est ni d'origine médiévale ni païenne. En fait, il existe des preuves évidentes de la croyance juive à cette doctrine qui remontent aussi loin que les croyances chrétiennes sur la question (et qui sont de beaucoup antérieures au Moyen Âge).
Par exemple, beaucoup de chrétiens ne savent pas que c'est une pratique juive commune de prier pour les morts. L'ancienne « lamentation Kaddish » est une prière araméenne toujours priée aujourd'hui et qui est dite au nom des morts. Comme l'explique la librairie virtuelle juive :
L’ancienne lamentation Kaddish est récitée pendant onze mois à partir du jour de la mort et aussi au yahrzeit (anniversaire du décès). Une personne peut dire le Kaddish non seulement pour ses parents, mais aussi pour un enfant, un frère ou un beau-frère. Un fils adoptif devrait le dire pour les parents adoptifs qui l'ont élevé.
Et nous voyons de telles prières pour les morts dans 2 Maccabées 12, 39-45, un texte qui date d'avant le temps du Christ:
Le jour suivant, Judas vint avec les siens, selon qu'il était nécessaire, relever les corps de ceux qui avaient été tués, pour les inhumer avec leurs proches dans les tombeaux de leurs pères. Ils trouvèrent, sous les tuniques de chacun des morts, des objets consacrés, provenant des idoles de Jamnia et que la loi interdit aux Juifs; il fut donc évident pour tous que cela avait été la cause de leur mort. Tous bénirent donc le Seigneur, juste juge qui rend manifestes les choses cachées. Puis ils se mirent en prières, demandant que le péché commis fût entièrement pardonné; et le valeureux Judas exhorta le peuple à se garder pur de péché, ayant sous les yeux les conséquences du péché de ceux qui étaient tombés.
Puis, ayant fait une collecte où il recueillit la somme de deux mille drachmes, il l'envoya à Jérusalem pour être employée à un sacrifice expiatoire. Belle et noble action, inspirée par la pensée de la résurrection! Car, s'il n'avait pas cru que les soldats tués dans la bataille dussent ressusciter, c'eût été chose inutile et vaine de prier pour des morts. Il considérait en outre qu'une très belle récompense est réservée à ceux qui s'endorment dans la piété.
Que vous acceptiez ou non 2 Maccabées comme faisant partie de l’Écriture, cela montre clairement que ces prières pour les morts eurent lieu pendant des siècles, voire des millénaires, avant le Moyen Âge. C’est également significatif puisque la plupart des chrétiens à travers l'histoire ont accepté 2 Maccabées comme faisant partie de l'Écriture inspirée. Il n'était donc pas nécessaire de se tourner vers le paganisme irlandais ou romain pour retrouver cette idée: cette idée était déjà là dans nos Bibles.
Significativement, cette pratique juive de prier pour les morts est étroitement liée à l'idée que cela libère les âmes des morts. Le midrash « Tanna Devei Eliyahu » (תנא דבי אליהו) le montre clairement. La traduction en français (du texte anglais ici) se lit comme suit:
- Rabbi Yochanan ben Zakkai a dit: « Une fois, je suis allé le long du chemin et je suis tombé sur un homme qui ramassait du bois. Je lui ai parlé, mais il n'a pas répondu. Ensuite, l'homme est venu me dire: Rabbi, je suis mort, pas vivant. »
- Je lui ai demandé : « Si vous êtes mort, pourquoi avez-vous besoin de ce bois? »
- Il répondit: « Rabbi, écoute ce que je vais te dire. Pendant que j'étais en vie, mon compagnon et moi-même commettions le péché dans mon manoir. Quand nous sommes venus dans ce monde, nous avons été condamnés à la brûlure. Pendant que je ramasse du bois, ils brûlent mon ami et pendant qu'il ramasse du bois, ils me brûlent.
- J'ai demandé : « combien de temps cette sentence doit-elle durer? »
- Le mort répondit: « Quand je suis venu dans ce monde, j'ai laissé derrière moi une femme enceinte. Je sais qu'elle attend un garçon. Je vous en prie, gardez un œil sur lui depuis le moment où il sera né jusqu'à ce qu'il ait cinq ans. Ensuite, amenez-le à l'école et au moment où il répondra: «Béni soit Hachem qui est béni », je serai libéré du jugement dans la géhenne.
Il s'agit donc d'une description juive d'une âme souffrant par le feu après sa mort de façon temporaire et qui sera libéré à cause des prières de son fils. Cette tradition est attribuée à Rabbi Yochanan ben Zakkai (ou Johanan ben Zakai), un rabbin du premier siècle. Le texte lui-même date probablement du milieu du troisième siècle, encore longtemps avant le Moyen Âge et loin de toute influence irlandaise.
Tout cela est une toile de fond importante pour les débats chrétiens sur le Purgatoire et les prières pour les morts. Tout d'abord, il montre que les doctrines catholiques ne sont pas le résultat d'accrétions païennes au christianisme datant du Moyen Âge, mais un reflet des racines juives du christianisme. Cela devrait nous indiquer comment nous approcher des preuves bibliques. Par exemple, il est beaucoup plus plausible que 1 Corinthiens 3, 12-15 soit une référence Purgatoire si l’on est conscient qu'il y avait également une compréhension juive contemporaine au sujet du feu temporaire du purgatoire. Ainsi, la déclaration de Jésus dans Luc 12, 59 («Je te le déclare, tu n'en sortiras pas tant que tu n’auras pas payé jusqu’au dernier centime ») fait du sens à la lumière de la croyance juive en la Gehenna (géhenne) comme un lieu de purgation temporaire. Même l'argument protestant le plus fort contre la prière pour les morts (qu'il n'y a pas d'instructions précises à ce sujet dans le Nouveau Testament) est grandement affaibli quand nous réalisons que les croyants du premier siècle priaient déjà pour les morts.
L'encyclopédie juive a aussi un article sur le Purgatoire. On y trouve plusieurs autres exemples démontrant les croyances juives sur la question:
La vision du purgatoire est encore plus clairement exprimée dans les passages rabbiniques, comme dans l'enseignement des Shammaïtes: «Au dernier jour du jugement, il y aura trois classes d'âmes: les justes seront à la fois écrits pour la vie éternelle; les méchants, pour la Gehenna; mais ceux dont les vertus et les péchés se contrebalancent l'un l'autre descendent à la Gehenna et flottent de haut en bas jusqu'à ce qu'ils se soulèvent purifié; car il est dit: «J'apporterai la troisième partie au feu, je les raffinerai comme l'argent sera raffiné et je les jugerai comme l'or est jugé » (Zacharie 13, 9]; aussi, « Il [le Seigneur] fait descendre au Schéol et ressusciter » (1 Samuel 2, 6). Les Hillelites semblent n'avoir eu aucun purgatoire; car ils disaient: « Celui qui est « plein de miséricorde »[Exode 34, 6] incline l'équilibre vers la miséricorde et par conséquent, les intermédiaires ne descendent pas dans la Gehenna »(Tosef, Sanh, XIII, 3, R.H. 16b, Bacher, Ag. Tan.) Ils parlent cependant d'un état intermédiaire.
Cet article est une traduction personnelle de l’article « Jewish purgatory » de Joe Heschmeyer.
Très intéressant! Merci beaucoup!
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