L'Eucharistie de Viktor Vasnetsov
Dans mon précédent billet, j'ai décrit comment les réformateurs protestants ont créé la doctrine de sola scriptura (ce terme signifie l'écriture seule). Évidemment, les protestants prétendent que cette doctrine n'a pas été créée par les réformateurs et qu'elle a toujours été crue par les chrétiens depuis le tout début du christianisme. Cette affirmation est manifestement erronnée et frôle le ridicule quand on considère les faits suivants.

1. Lorsque le christianisme et né, la Bible comprenait uniquement l'Ancien Testament, puisque le Nouveau n'avait pas encore été rédigé. Si les premiers chrétiens avaient fondé leur foi sur la Bible seule, ils n'auraient pas su grand chose sur Jésus, à part quelques références prophétiques que l'on retrouve dans l'Ancien Testament.

2. La Bible elle-même ne parle pas de la doctrine de sola scriptura ou de quoi que ce soit du genre. Logiquement, si elle ne contient pas la doctrine de sola scriptura, cette doctrine devrait être rejetée, par application de cette même doctrine!

3. Le Christ, fondateur de notre religion, était une personne et non un livre. Il est remarquable que le Christ n'a lui-même rien écrit. Il nous a enseigné sa doctrine oralement et par ses faits et gestes. En tant que personne, le Christ a beaucoup fait qui n'a pas été consigné par écrit (Jn 21.25) mais qui a été vu et entendu par les apôtres (1 Jn 1.1). Les apôtres ont transmis certaines de ces choses oralement (2 Thess 2.15). Les protestants, en refusant de croire ce que l'on connaît du Christ et qui n'a pas été consigné dans les livres saints, nient une partie de la réalité de l'Incarnation. L'Incarnation présuppose que l'influence du Christ est celle d'une personne qui a vécu une vie et qui a laissé sa marque de façon personnelle, et non l'influence d'un livre qui en parle de façon nécessairement incomplète. Leur foi est fondée non plus sur la personne incarnée du Christ, mais sur un livre qui réduit la réalité de l'Incarnation aux simples récits qu'on y trouve. Saint Paul écrit que c'est le Christ qui est la perfection de la révélation (He 1.2) et non la Bible, contrairement aux protestants qui prétendent que la Bible contient l'ensemble de la révélation divine.

En somme, les protestants ont remplacé le Christ par un livre, ce qui constitue de l'idolatrie. Le livre en question a beau être inspiré, c'est de l'idolatrie tout de même. Je vois un parallèle avec le serpent d'airain de Moïse (Nombres 21), un objet sacré que Dieu lui-même avait commandé à Moïse de fabriquer. En 2 Rois 18.4, on lit que quelques centaines d'années plus tard, les Israëlites se sont mis à adorer cet objet, détournant ainsi un objet sacré pour en faire une idole. C'est ainsi que les protestants ont pris un objet sacré et d'inspiration divine (la Bible) pour en faire une idole.

Cette erreur a été fatale au point où certains protestants pourraient à peine être qualifiés de chrétiens. On est chrétien dans la mesure où on est en communion avec le Christ et son corps. Les protestants sont habituellement considérés chrétiens parce que leur baptême est valide, ce qui les met dans une communion avec le Christ, quoique de façon imparfaite. Pour le reste, c'est surtout avec un livre qu'ils sont en communion, puisqu'ils n'ont pas le sacrement de l'Eucharistie.

Le christianisme est centré d'abord et avant tout sur la personne du Christ. Sa personne, dis-je, y compris son corps et non seulement ce qu'il a dit ou fait. Saint Jean écrit dans son premier épitre: «Ce qui a été du début, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu avec nos yeux, ce que nous avons perçu, ce que nos mains ont manipulé concernant la Parole de vérité» (1 Jn 1.1), et non «ce que nous avons lu»!

Cette vision est loin de la foi intellectuelle et désincarnée du protestantisme. Si on cumule un certain nombre de croyances jugées essentielles (les protestants ne s'entendent pas sur lesquelles, ni sur le nombre exact), on se qualifie comme chrétien. Il n'est pas question ici de communion au corps du Christ.

C'est en effet l'eucharistie qui est la pierre d'achoppement des protestants. Lorsqu'ils arrivent au 6e chapitre de l'évangile de Saint-Jean et lisent qu'il faut manger le corps et boire le sang de Jésus et que son corps est une vraie nourriture et que son sang est un vrai breuvage (Jn 6.54-56), les protestants restent bouche bée. Peu avant, au 5e chapitre, le Christ dit: «Vous sondez les Écritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle: ce sont elles qui rendent témoignage de moi. Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie!» (Jn 5.39-40). Rien de mieux qu'un protestant pour sonder les écritures sans jamais communier au Christ!

Les conséquences de sola scriptura ont été dévastatrices pour le christianisme occidental. On ne compte plus le nombre de sectes protestantes. Les sectes les plus libérales se servent allègrement de la Bible pour justifier des dérives doctrinales. Les sectes plus conservatrices ne peuvent rien leur reprocher, puisque leur interprétation a autant d'autorité que celle de n'importe qui.

Pire encore, ce poison s'est infiltré dans le catholicisme. Sous l'influence du protestantisme, de nombreux catholiques ont pris l'habitude de s'appuyer sur une interprétation privée de tel ou tel verset biblique pour remettre en question l'enseignement de l'Église, qui est l'enseignement du Christ.

Lorsqu'on invoque un verset de la Bible pour appuyer sa thèse, il est difficile en effet pour un catholique d'admettre que la Bible pourrait avoir tort. Certains catholiques n'ont pas le réflèxe de se demander si on a correctement compris le verset en question. C'est ainsi que le protestantisme arrive à convaincre des catholiques ignorants et naïfs que le catholicisme est en contradiction avec la Bible.

Voici une conversation fictive qui illustre la méthode protestante:

Un protestant: Croyez-vous à la Bible?
Un catholique: Oui, bien sûr.
P: Regardez ce verset, Matthieu 23.9, n'appellez personne «père» sur cette terre, car vous n'avez qu'un seul Père. Les catholiques n'appellent-ils pas les prêtres «père» en contravention à la Bible?
C: Je suppose qu'il doit y avoir une bonne explication...
P: Alors regardez ici, Exode 20.4, tu ne feras point de statue, tu ne te protesterneras point devant elles. Les catholiques n'ont-ils pas de nombreuses statues dans leurs églises devant lesquelles ils se mettent à genoux?
C: Oui...
P: Regardez encore ici, Jérémie 44.17, le prophète reproche aux Israëlites d'honorer la «reine du ciel». N'est-ce pas de Marie qu'il parle?
C: Marie est effectivement la Reine des Cieux.
P: Je pourrais ajouter de nombreux autres exemples qui démontrent que le catholicisme est en contradiction avec la Bible.
C: Et alors?
P: Vous avez dit que vous croyez à la Bible, donc vous devriez quitter le catholicisme. Vous pourriez vous joindre à notre groupe, puisque nous suivons parfaitement la Bible.
C: Je vais y réfléchir.


Chacun des groupes protestants prétend suivre parfaitement la Bible, mais comme ils ne s'entendent pas sur ce qu'elle signifie, il y a autant de groupes que d'interprétations! La vérité est que seule la foi catholique est parfaitement en accord avec la Bible lorsqu'elle est comprise correctement. Reprenons les exemples donnés par notre protestant fictif:

Dans Matthieu 23.9, le Christ nous dit de n'appeler personne «père». Devons-nous comprendre que nous n'avons pas le droit d'appeler notre père physiologique «père»? Même les protestants le font, puisqu'il faut bien l'appeler quelque chose. Si on regarde le passage dans son contexte, le Christ utilisait dans ce passage une figure de style pour nous indiquer comment il ne faut pas rechercher des honneurs.

Dans Exode 20.4, il nous est dit de ne pas nous protesterner devant des statues, mais il faut le lire avec la phrase précédante: «tu n'auras pas d'autres dieux». Ce dont il est question ici, c'est se protesterner devant des idoles, des faux dieux. Or les saints ne sont pas des dieux et leurs images ne sont pas des idoles. Lorsqu'on s'agenouille devant ces images, notre intention n'est pas de les adorer, mais de nous mettre dans une position propice à la prière.

Dans Jérémie 44.17, la «reine du ciel» était une déesse païenne bien connue à cette époque et n'avait rien à voir avec Marie. D'ailleurs, à l'époque où Jérémie a vécu, Marie n'était pas encore née.

Donc, nous voyons que la Bible peut être citée à tort pour justifier toutes sortes d'attaques sans fondement à l'encontre de la foi catholique. Les protestants ne se limitent pas au catholicisme, mais s'attaquent aussi entre eux allègrement, chacun soutenant que les croyances et les pratiques de l'autre ne sont pas conformes à la Bible.

J'espère avoir réussi à donner une idée à quel point le protestantisme diverge du christianisme authentique. Nous devons être en garde contre l'hérésie protestante si nous voulons être fidèle au Christ. Cela dit, le protestantisme n'est pas tout mal. Au contraire, n'importe quelle religion qui a la Bible pour livre sacré contient forcément une bonne partie de la vérité.

Dans mon prochain billet, je voudrais démontrer comment les catholiques peuvent s'inspirer des protestants pour redécouvrir et mieux comprendre les vérités de la foi qui sont d'abord des vérités catholiques, mais qui ont reçu plus d'attention de la part des protestants, au point où ces vérités sont parfois vues comme suspectes par certains catholiques. En effet beaucoup de catholiques, en réaction au mal causé par l'hérésie protestante, se sont braqués et sont tombés dans les excès opposés. Ces catholiques croient bien faire en faisant tout l'opposé des protestants, même lorsque les protestants font bien! Ce sera pour la prochaine fois.