Le vaste malentendu et le vrai désaccord


Si quelqu'un souhaite revisiter toute la chronologie de l'échange, je précise que le présent article est une réponse à cet article de Pascal, qui est une réponse à cet article que je lui avais écrit en réponse à cet article et à cette prédication.

Pascal fait valoir, par une excellente tirade (mon épouse et moi avons bien rigolé en la lisant!), que les catholiques et les protestants sont divisés en toutes sortes de courants hétéroclites. Je ne peux qu'admettre que Pascal a raison sur ce point. Ainsi, l’idée même de réconcilier la théologie des « catholiques » et celle des « protestants » ne pourrait pas être avancée en ces termes. Il importe donc de préciser qui pourrait se réconcilier avec qui.

Chez les protestants, je réfère aux chrétiens réformés qui adhèrent à la confession de foi de Westminster puisqu’ils sont parmi les plus engagés pour défendre leur théologie et qu’ils sont ceux avec lesquels je suis le plus familier. En fait, on pourrait dire que je réfère singulièrement à Pascal, mais je m’adresse également à ceux qui partagent sa théologie! Du côté catholique, je réfère aux chrétiens qui sont fidèles aux enseignements du Magistère tels qu’on les retrouve dans le Catéchisme de l’Église catholique. Ces enseignements, malgré des changements de forme, n’ont pas changé de substance. Par exemple, le tout premier canon du concile de Trente sur la justification affirmait que: « Si quelqu’un dit qu'un homme peut être justifié devant Dieu par ses propres œuvres, faites seulement selon les lumières de la Nature, ou selon les préceptes de la Loi, sans la grâce de Dieu méritée par Jésus-Christ : qu'il soit anathème. »

Je reconnais que Pascal a aussi raison sur un autre point important : il y a un vrai désaccord. Dans un sens, ce n’est pas qu’un vaste malentendu. Pascal a bien exposé en quoi nous n’avons pas la même doctrine de la justification. J’y reviens plus loin.

Mais dans un autre sens, ce désaccord me semble être sans conséquence d’un point de vue spirituel. Reprenons les points sur lesquels nous sommes d’accord :
(1) Rien ne peut contribuer au salut en dehors de la grâce
(2) Rien ne peut nous justifier en dehors du sacrifice du Christ
(3) C’est par notre foi en Christ que son sacrifice nous justifie
(4) Un croyant justifié par une foi vivante accomplit des œuvres

Ainsi, un croyant vraiment fidèle aux enseignements du Magistère catholique qui se retrouve devant Dieu après sa mort n’invoquera pas ses œuvres afin d’être justifié : il invoquera sa foi en Christ. De même pour les croyants qui suivent les enseignements de théologiens réformés tels que John Piper qui, comme le soulève Pascal, reconnaissent eux aussi que les œuvres sont nécessaires au salut. À partir de là, je peux toujours admettre l’importance de la question à savoir si la sanctification par les œuvres est nécessaire au salut ou si elle n’est qu’un signe d’une foi vivante, mais il me semble qu’une erreur théologique à ce sujet ne met pas le salut en péril.

Un chrétien qui place vraiment sa foi en Christ, et dont l’espérance est vraiment fondée sur le sacrifice du Christ, risque-t-il la perdition s’il croit à tort que la justice du Christ doit être infusée en lui plutôt que de lui être imputée? Ou inversement? Est-ce que notre opinion au sujet du lien causal entre les différents aspects de la justification est, en soi, une cause de perdition?

Je conviens que si notre foi et notre espérance sont mal placées, nous risquons la perdition. C’est pourquoi le pélagianisme est une hérésie grave. Mais je crois qu’une erreur au sujet du mécanisme de la justification n’est pas une cause de perdition qui doit mener à un schisme ecclésial. À moins que je ne me trompe, Pascal pourrait cohabiter dans la même église de John Piper. D’autres questions – les sacrements et le Magistère, notamment – font en sorte que les catholiques et les réformés ne peuvent pas cohabiter dans la même église, mais la question des œuvres n’en fait pas partie. C’est en ce sens que je parle d’un vaste malentendu.

Les doctrines de la justification (encore!)

Afin de préciser l’objet du litige, j’ai élaboré ce schéma qui présente les liens causaux entre les différentes étapes de la justification selon les théologies pélagienne, réformée et catholique.


Selon les trois théologies, nous plaçons notre foi dans ce qui nous justifie. Dans la théologie catholique autant que dans la théologie réformée, nous ne plaçons pas notre foi dans nos œuvres : nous plaçons notre foi dans le sacrifice du Christ. Dans ces deux cas, ce ne sont pas nos œuvres qui nous justifient : c’est le sacrifice du Christ. Comme je l’ai mentionné en introduction, je pense que ce sont les questions essentielles au salut puisqu’elles ne sont pas seulement des opinions théologiques : elles changent notre posture spirituelle en nous amenant à placer notre foi et notre espérance en Jésus-Christ ou ailleurs qu'en Jésus-Christ.

Mais il y a tout de même un véritable désaccord théologique. Chez les catholiques, la sanctification est une étape nécessaire entre la justification et le salut. Chez les réformés, cette étape est inexistante et la sanctification n’est qu’une manifestation de la foi. Nous sommes d’accord à l’effet que nous sommes justifiés par la foi seule. Mais, une fois justifiés, les réformés affirment que les œuvres sont inutiles au salut alors que les catholiques affirment que les œuvres sont nécessaires au salut.

C’est dans son avant-dernier paragraphe que Pascal met le doigt sur le nœud du désaccord: « Car au sola gratia nous joignons aussi sola fide et solus Christus qui garantissent notre salut exclusivement sur la base de l’œuvre d’obéissance que Jésus a faite en dehors de nous et en faveur de nous comme représentant fédéral devant Dieu et aucunement sur la base de ce que Jésus fait au-dedans de nous et au moyen de nos œuvres. » (mes soulignements) Je soumets que cette distinction ne se trouve pas dans l’Écriture et qu’elle est en contradiction avec un théisme cohérent.

Pour ce qui est du théisme cohérent, je réfère à la section de mon article précédant sur les doctrines de la justification. Elle se résume pas les phrases suivantes : « Dieu déclare justes des pécheurs qui ne deviennent pas ontologiquement justes. Les déclarations juridiques de Dieu peuvent ainsi être ontologiquement fausses. La notion qu’une déclaration divine puisse être vraie en termes juridiques mais pas en termes ontologiques me semble aberrante. Le pouvoir de Dieu serait limité à la loi sans égard pour l’être? Dieu se soucierait du statut juridique mais pas de la réalité factuelle? » À cela j’ajouterais : Dieu accueille des pécheurs ontologiques dans le Royaume des cieux? Par la structure de sa réponse, je comprends que Pascal était plus soucieux d’exposer le désaccord que de répondre à cette objection mais, l’objet précis du désaccord était clarifié, je pense que cette objection est toujours valide.

Pour ce qui est de l’Écriture, il importe encore une fois de discerner la question à laquelle on répond. Sans contredit, c’est sur la base de la justice du Christ que nous sommes déclarés justes par Dieu, pas sur la base de notre propre justice. Il faut donc placer notre foi dans le sacrifice du Christ plutôt que dans nos œuvres. Mais est-ce que la déclaration de Dieu nous procure une justification juridique et ontologique, ou seulement juridique? Rien dans l’Écriture n’exclut qu’une transformation ontologique soit attachée à la déclaration juridique.

Au contraire, l’Écriture précise que la sanctification est nécessaire afin d’hériter du Royaume des cieux. Il ne faut pas s’enorgueillir de nos œuvres et ce n’est pas sur la base de nos œuvres que nous sommes justifiés, mais il est nécessaire d’être sanctifié par les œuvres afin d’hériter du Royaume des cieux. C’est donc une erreur de croire que nous sommes justifiés par nos œuvres, mais c’est aussi une erreur de croire que les œuvres ne sont pas nécessaires au salut. Les œuvres ne sont pas la cause de la justification: elles sont l’effet de la justification et elles sont nécessaires au salut.

« Et il leur répondra: Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous n'avez pas fait ces choses à l'un de ces plus petits, c'est à moi que vous ne les avez pas faites. Et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle. » (Matthieu 25, 45-46)

« Si quelqu'un dit: J'aime Dieu, et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? » (1 Jean 4, 20)

« Et maintenant je vous recommande à Dieu et à la parole de sa grâce, à celui qui peut édifier et donner l'héritage avec tous les sanctifiés. » (Actes 20, 32)

« Ne vous y trompez pas: ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs, n'hériteront le royaume de Dieu. » (1 Corinthiens 6, 9-10)

« Je vous dis d'avance, comme je l'ai déjà dit, que ceux qui commettent de telles choses n'hériteront point le royaume de Dieu. » (Galates 5, 21)

« Car, sachez-le bien, aucun impudique, ou impur, ou cupide, c'est-à-dire, idolâtre, n'a d'héritage dans le royaume de Christ et de Dieu. » (Éphésiens 5, 5)

« Pour nous, frères bien-aimés du Seigneur, nous devons à votre sujet rendre continuellement grâces à Dieu, parce que Dieu vous a choisis dès le commencement pour le salut, par la sanctification de l'Esprit et par la foi en la vérité. » (2 Thessaloniciens 2, 13)

« Recherchez la paix avec tous, et la sanctification, sans laquelle personne ne verra le Seigneur. » (Hébreux 12, 14)

« Il n'entrera chez elle [la nouvelle Jérusalem] rien de souillé, ni personne qui se livre à l'abomination et au mensonge; il n'entrera que ceux qui sont écrits dans le livre de vie de l'agneau. » (Apocalypse 21, 27)

Commentaires

  1. "Est-ce que notre opinion au sujet du lien causal entre les différents aspects de la justification est, en soi, une cause de perdition?"

    Pas en soi, mais indirectement oui, si elle implique une rébellion contre l'Eglise au profit de son interprétation personnelle. Les protestants qui savent ce qu'enseigne l'Eglise au sujet de la justification et qui rejettent cet enseignement sciemment ne peuvent pas être sauvés. Ce rejet est le signe de l'absence de foi ou d'une foi mal placée. Ils choisissent de ne pas croire à l'Eglise et par extension au Christ.

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    1. J'ai trouvé l'article fort interessant. Pour ce qui est votre commentaire: Comment est-ce que vous justifiez bibliquement que ne pas croire à l'Eglise catholique romaine veut dire de ne pas croire au Christ? Personallement je ne le trouve pas ni dans l'enseignement du Seigneur lui-même, ni dans l'enseignement des apôtres.

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    2. Quand je lis les enseignements du Magistère, il me semble clair que les protestants peuvent être rattachés à l’Église invisible. Notamment, ce passage de Lumen Gentium (8):

      C’est là l’unique Église du Christ, dont nous professons dans le symbole l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité, cette Église que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu’il en soit le pasteur, qu’il lui confia, à lui et aux autres Apôtres, pour la répandre et la diriger et dont il a fait pour toujours la « colonne et le fondement de la vérité ». Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle subsiste, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par le don de Dieu à l’Église du Christ, portent par eux-mêmes à l’unité catholique.

      http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19641121_lumen-gentium_fr.html

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  2. Je ne ressens aucune nécessité de justifier bibliquement mon commentaire, puisque la vérité d'une doctrine chrétienne n'est pas conditionnelle à sa présence dans la bible. C'est précisément votre croyance mal placée dans l'hérésie de sola scriptura qui vous fait rejeter le plein enseignement des apôtres, l'authentique interprétations de la bible et ultimement l'Eglise, brisant la communion avec le corps du Christ, laquelle est nécessaire au salut (Jn 6).

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  3. Bien expliqué, Sylvain. Merci beaucoup!

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  4. Sylvain, est-ce que tu crois que cette unité imparfaite dont parle LG suffit au salut?

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    1. Est-ce que l’unité imparfaite « suffit » au salut? C’est une question problématique. D’une part, l’unité catholique parfaite ne « suffit » pas au salut : d’autres conditions doivent également être remplies. D’autre part, le paragraphe 16 de Lumen Gentium précise que même des non-chrétiens « peuvent arriver au salut éternel ». Il me semble donc contraire aux enseignements magistériels d’affirmer que l'unité parfaite avec l’Église catholique est absolument nécessaire au salut.

      Ensuite, pour rejeter « sciemment » les enseignements catholiques, il ne faut pas seulement avoir entendu leur verbalisation catéchétique à quelques reprises. Il faut les avoir bien reçus et bien compris. Selon mon expérience, les protestants dans cette situation sont fort peu nombreux…

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    2. Il faut interpréter l'enseignement de Lumen Gentium en tenant compte de la doctrine traditionnelle: "Point de salut hors de l'Église". L'Église nous enseigne que le seul moyen révélé de salut est l'unité parfaite avec l'Église. Il peut exister d'autres moyens CONNUS DE DIEU SEUL, mais celui qu'il nous a montré est l'Église catholique romaine. Donc, il serait téméraire de laisser croire à un protestant que son unité imparfaite est une voie vers le salut comme les autres.

      Pour rejeter sciemment la vérité, il n'est pas nécessaire de s'en rendre maître, ni même de les avoir entendus, si par sa négligence on a omis de prendre les moyens à notre disposition pour s'informer sur la foi catholique sans se fier uniquement sur le ouï-dire. Dans mon expérience, les protestants dans cette position sont très nombreux. Ils sont combien à avoir mis le moindre effort à comprendre ce qu'enseigne vraiment l'Église, par exemple en lisant le catéchisme? Bien souvent, leur caricature de la foi catholique est la raison même pour laquelle ils sont devenus protestants.

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