La croix et le purgatoire

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Piero di Cosimo, Crucifixion du Christ (1510)

Au début de Marc 9, Jésus dit à ses Disciples: « Je vous le dis, en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici présents ne goûteront point la mort qu'ils n'aient vu le royaume de Dieu venu avec puissance ». Et ainsi, six jours plus tard, il prend trois de ces disciples, Pierre, Jean et Jacques, les amène sur une montagne, probablement le mont Tabor, et là il est transfiguré devant eux. Il est soudainement brillant avec ses vêtements blancs éblouissants, Élie et Moïse se montrent et conversent avec Lui et Dieu le Père parle en le louant (Marc 9, 2-8). Comme ils descendirent de la montagne, Jésus leur parle à propos de la Croix (Marc 9, 9-10): « Comme ils descendaient de la montagne, il leur fit commandement de ne raconter à personne ce qu'ils avaient vu, sinon quand le Fils de l'homme serait ressuscité des morts ».

Leur confusion est compréhensible: comment le Christ glorieux, aimé du Père, pouvait-il mourir? Saint Luc nous indique que c'est effectivement ce dont Moïse et Élie avaient parlé avec Jésus sur la montagne: « Et voilà que deux hommes conversaient avec lui : c'étaient Moïse et Élie, qui, apparaissant en gloire, parlaient de sa mort qu'il devait accomplir à Jérusalem » (Luc 9, 30). C'est ce mélange de Croix et de gloire que les apôtres ont de la difficulté à comprendre et l'une des questions qu'ils posent à Jésus est « comment est-il écrit du Fils de l'homme qu'il doit souffrir beaucoup et être méprisé? » (Marc 9, 12). Nous voyons le même choc ailleurs. Par exemple, juste après que Pierre proclame correctement Jésus comme étant « le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Matthieu 16, 16), Jésus déballe la signification de ce titre exalté, à l'horreur de Pierre (Matthieu 16, 21-23) :

Jésus commença depuis lors à déclarer à ses disciples qu'il fallait qu'il allât à Jérusalem, qu'il souffrît beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, qu'il fût mis à mort et qu'il ressuscitât le troisième jour. Pierre, le prenant à part se mit à le reprendre, disant : «  A Dieu ne plaise, Seigneur ! cela ne vous arrivera pas. » Mais lui, se tournant, dit à Pierre : «  Va-t'en ! Arrière de moi, Satan ! tu m'es scandale; car tu n'as pas le sens des choses de Dieu, mais (celui) des choses des hommes. »

Voici donc les deux visions de la gloire: celle de Pierre est une vision de la gloire sans la Croix; celle de Jésus est une vision de gloire à travers la Croix. Lors de la dernière Cène, Jésus expose sa vision en expliquant que c'est seulement par la souffrance qu'Il viendra dans Sa gloire et seulement à travers la souffrance que nous le ferons aussi (Jean 12, 23-26):

Jésus leur répondit: « L'heure est venue où le Fils de l'homme doit être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul; Mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie, la perdra; et celui qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu'un veut être mon serviteur, qu'il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera. »

Finalement, les chrétiens ont compris et c'est pourquoi nous trouvons saint Paul dire des choses comme (2 Tim 2, 3-6. 11-13) :

Prends ta part de souffrances comme un bon soldat du Christ Jésus. Nul qui sert comme soldat ne s'engage en des affaires de la vie (ordinaire), afin de pouvoir donner satisfaction à celui qui l'a enrôlé; et de même, si quelqu'un lutte, il n'obtient la couronne que s'il a lutté selon les règles. C'est d'abord au cultivateur qui peine de recevoir sa part des fruits. [...] Sûre (est) la parole : Si nous sommes morts avec (lui), nous vivrons aussi avec (lui); si nous supportons (les épreuves), nous régnerons avec (lui); si nous (le) renions, lui aussi nous reniera; si nous ne sommes pas fidèles, lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même.

Et Romains 8, 15-18 :

En effet, vous n'avez point reçu un Esprit de servitude, pour être encore dans la crainte; mais vous avez reçu un Esprit d'adoption, en qui vous crions : Abba ! Père ! Cet Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, pour être glorifiés avec lui. Car j'estime que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous.

C'est le message chrétien: Dieu nous sauve alors que nous sommes des gâchis énormes, mais Il ne veut pas nous laisser là. Il veut nous faire des saints et c'est un travail difficile. Parfois, c'est une souffrance extérieure, comme la persécution. D'autres fois, c'est la souffrance intérieure, comme la souffrance de se détourner du péché. Notre gloire est intimement liée à notre souffrance pour le Christ.

Il est vrai qu'Il pourrait tout simplement nous transformer instantanément et dans quelques rares cas, Il semble faire exactement cela. Mais Il choisit généralement de ne pas le faire. Pour la plupart d'entre nous, à moins d'une certaine période de lune de miel, nous devons lutter contre le péché. Hébreux 12, 4 nous rappelle que « Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang dans votre lutte contre le péché » et que cette souffrance est le signe de la discipline du Père pour ses enfants (Hébreux 12, 5-11), concluant que « Toute correction, il est vrai, paraît sur l'heure un sujet de tristesse, et non de joie; mais elle produit plus tard, pour ceux qui ont été ainsi exercés, un fruit de paix et de justice ». Cette discipline est un processus de purification pour nous préparer à la gloire céleste.

Si vous pouvez comprendre cela, alors vous pouvez aussi comprendre pourquoi le purgatoire existe. Beaucoup d'entre nous meurent avant que ce processus de purification ne soit achevé, et ainsi, Notre-Seigneur le termine avant d'entrer dans la gloire céleste. C'est toute la logique de la Croix. Le Christ ne meurt pas sur la Croix pour nous libérer de porter nos croix. Sa mort sur la croix donne un sens à nos croix. Lorsque nous nous approcherons de la gloire céleste, où « n'y entrera rien de souillé » (Apocalypse 21, 27), nous l'approcherons libérés de tous nos attachements pécheurs, ou nous serons ainsi faits. Cela semble être le sens de la description de saint Paul dans 1 Corinthiens 3, 10-15:

Selon la grâce de Dieu qui m'a été donnée, j'ai, comme un sage architecte, posé le fondement, et un autre bâtit dessus. Seulement que chacun prenne garde comment il bâtit dessus. Car personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est déjà posé, savoir Jésus-Christ. Si l'on bâtit sur ce fondement avec de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, du chaume, l'ouvrage de chacun sera manifesté; car le jour du Seigneur le fera connaître, parce qu'il va se révéler dans le feu, et le feu même éprouvera ce qu'est l'ouvrage de chacun. Si l'ouvrage que l'on aura bâti dessus subsiste, on recevra une récompense; si l'ouvrage de quelqu'un est consumé, il perdra sa récompense; lui pourtant sera sauvé, mais comme au travers du feu.

Si vous comprenez le message de la Croix, vous verrez alors pourquoi le purgatoire a du sens, mais aussi pourquoi il est tentant de vouloir le nier. Pierre ne voulait pas entendre parler de Jésus glorifié par la souffrance (Matthieu 16, 21-22) et il ne voulait pas entendre parler de la façon dont il serait glorifié par la souffrance, soit (Jean 21, 17-22):

Jésus lui dit: « Pais mes brebis. » « En vérité, en vérité je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais; mais quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne voudras pas. » Il dit cela, indiquant par quelle mort Pierre devait glorifier Dieu. Et après avoir ainsi parlé, il ajouta: « Suis-moi ». Pierre, s'étant retourné, vit venir derrière lui, le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant la cène, s'était penché sur son sein, et lui avait dit: « Seigneur, qui est celui qui vous trahit? » Pierre donc, l'ayant vu, dit à Jésus: « Seigneur, et celui-ci que deviendra-t-il? » Jésus lui dit: « Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe? Toi, suis-moi! »

Il est donc très tentant pour nous de trouver une théologie dans laquelle Jésus enlève simplement nos Croix ou fait de nous des Saints instantanément. Mais ce n'est pas la vision de la gloire que Jésus nous offre: notre glorification s’opère à travers la Croix (la sienne et la nôtre) ou rien du tout.


Cet article est une traduction personnelle de l’article « The Cross and Purgatory » de Joe Heschmeyer

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