Comment les wagons et la théorie des ensembles prouvent l’existence de Dieu?


L'argument le plus fort contre l'athéisme est probablement l'argument de la contingence. Dans sa forme la plus simple, il ressemble à ceci:

A. Toute chose, sans exception, se divise en deux catégories possibles: (1) ce qui est contingent, et (2) ce qui n’est pas contingent.

Permettez-moi de vous expliquer ce que je veux dire en utilisant les termes « chose » et « contingent ».  J’utilise le terme «chose» dans son sens le plus large possible: un objet physique, une loi scientifique, peu importe. Si une chose requiert quelque chose d’autre pour exister, alors il est « contingent ».

Arbre généalogique
Vous et moi sommes radicalement contingents. Sans nos parents (et leurs parents, les parents de leurs parents, etc.), nous n’existerions pas. Même le moindre changement: votre arrière-arrière-arrière-grand-parent meurt avant de rencontrer votre arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère (ou se déplace, ou n'est pas attiré par elle, ou quelqu'un d'autre la marie à sa place, etc., etc., etc.), et vous n’existez pas. Mais il y a encore plus que cela, d’innombrables facteurs ont dû s'aligner afin que nous ayons pu vivre sur une planète avec toutes les conditions rendant la vie humaine (et la procréation) possible, pour avoir le bon type d'univers et ainsi de suite.

Je ne suis pas intéressé à débattre ici de savoir si la coalescence de ces facteurs était probable ou improbable, ou si cela est dû au hasard ou à un Grand Dessein.

Mon argument est simple: pour que vous puissiez exister, d'autres conditions doivent logiquement précéder votre existence. Votre existence est logiquement dépendante de ces autres conditions. Par conséquent, si je sais que vous vous trouvez dans un univers particulier, je peux alors déduire toutes sortes d'autres choses à propos de cet univers: qu'il vous maintient en vie, qu’il contient (ou a déjà contenu) vos parents, etc.

C’est ce que nous entendons par une chose contingente. Grâce à certaines conditions particulières, vous existez. Si ces conditions n’avaient pas été là, vous ne seriez pas là non plus.

Toutes les choses créées sont dans la catégorie # 1: elles sont toutes contingentes. Elles n’émergent pas  nécessairement. Parfois, cette vérité est affirmée sous la forme : «tout ce qui commence à exister a une cause ».

Donc, toutes les choses créées sont contingentes. Mais l'inverse n’est pas vrai: une chose pourrait être infiniment vieille et aussi logiquement contingente. Donc, comme vous vous en doutez, la catégorie 1 est énorme. Elle comprend tout l'univers.

B) Vous ne pouvez tout simplement pas avoir une série infinie de causes contingentes; puisqu’une cause sans cause est logiquement nécessaire.

Les causes contingentes requièrent quelque chose d'autre pour exister: cette chaîne ne peut simplement pas se poursuivre indéfiniment. Si A nécessite l'existence de B, B nécessite l'existence de C, et que C nécessite l'existence de A, vous ne pouvez pas postuler A, B, ou C comme cause de l'existence de l'ensemble comprenant A, B, et C . Un professeur de philosophie m'a donné deux illustrations utiles de ce principe: l'un impliquant la théorie des ensembles et l’autre impliquant un train.

Commençons par la théorie des ensembles. Toutes les causes peuvent être divisés entre les [Causes causées] et les [Causes sans cause]. Peu importe la taille de l'ensemble [Causes causées], même infiniment grand, il ne peut pas être sa propre cause. Il a besoin d'une cause sans cause pour commencer à exister. Nous avons tendance à concevoir cela de façon temporelle (que la cause sans cause doit préexister la cause causée), mais cela serait vrai même si la cause sans cause et les causes causées seraient toutes infiniment vieilles.

Cette illustration est claire et simple, mais elle ne l’est pas pour tout le monde. Pour cette raison, il a aussi donné l'illustration du train. L'image ci-dessous montre deux wagons : le wagon de droite est une locomotive, qui a un moteur; tandis que le wagon de gauche est un wagon de train ordinaire, qui n’en a pas.



Si vous êtes à un passage à niveau et que vous voyez un wagon de train ordinaire passer, vous pouvez être certain qu'il est tiré par une locomotive, même si vous ne pouvez pas voir l'avant du train. Le wagon peut être tiré directement par la locomotive, ou par un autre wagon de train ou par une série de wagons de train qui sont eux-mêmes tirés par une locomotive.

Un train qui comprendrait uniquement des wagons, sans locomotive, ne pourrait jamais se déplacer. Cela n’a aucune importance que le train comprenne un seul wagon, ou mille, ou un million, ou une infinité de wagons de longs. Sans quelque chose pour le bouger, il ne bougera pas d'un pouce.

Il en est ainsi des réalités contingentes: elles sont finalement mises en mouvement, pour ainsi dire, par ce qui est nécessaire. Cela n'a pas d'importance que vous ayez une seule réalité contingente, ou mille, ou un nombre infini: ils exigent l'existence d'une réalité non contingente.

Par ailleurs, cela explique aussi pourquoi l'argument athée « Qui a créé Dieu? » est un non-sens philosophique. C’est comme se demander: « Eh bien, si tous les wagons des trains doivent être bougés par une locomotive, alors qu’est-ce qui fait bouger la locomotive? »

C) Cette réalité est nécessaire est ce que nous appelons « Dieu ».

À ce stade, nous pouvons dire avec certitude que quelqu'un ou quelque chose de nécessaire a créé l'univers entier. Nous pouvons dire avec une certitude absolue que l'univers entier - de toute personne, à chaque particule, à chaque loi scientifique - remonte à une origine commune, une sorte de Créateur. Cela nous donne un point de départ pour pouvoir explorer le genre de Créateur dont nous parlons. Mais ici se termine la preuve.

Cela ne prouve pas immédiatement la vérité du catholicisme (qui peut être connue grâce à une combinaison de la raison et de la révélation divine), mais il réfute la possibilité de l'athéisme. Il n'y a tout simplement aucun moyen de commencer sans une cause sans cause et de se retrouver finalement avec quelque chose, que ce soit les lois physiques, les réalités matérielles ou toute autre chose.

P-S : Quelle sorte de Créateur?

La preuve pourrait suggérer que l'univers a une cause, mais qu’elle est totalement impersonnelle. Il se trouve qu’en utilisant cette preuve, nous pouvons aussi déterminer beaucoup de choses sur notre Créateur. Vous voyez, rien ne peut exister dans un effet qui n’existe pas (au moins en puissance) dans la somme totale des causes. Vous ne pouvez pas mettre deux et deux ensembles et obtenir cinq. Cette notion viole la causalité.

Puisque toutes les autres causes découlent de la même cause nécessaire, nous pouvons dire que rien ne peut exister dans l'univers ne vient pas du Créateur. Par exemple, nous existons dans un univers qui contient (et permet) la personnalité et la sensibilité. Mais les effets de la personnalité et la sensibilité ne peuvent pas exister sans la cause ultime possédant elle-même la personnalité et la sensibilité. Donc, nous savons tout de suite que nous avons affaire à un Dieu personnel

Cet article est une traduction personnelle de l’article «How Train Cars and Set Theory Prove the Existence of God» de Joe Heschmeyer.

Commentaires

  1. Qu'est-ce qui nous indique que l'univers est contingent? Les réponses à cette question que j'ai lues ailleurs se résument à ceci : l'univers aurait pu être différent de ce qu'il est. On peut imaginer un univers avec des attributs différents, l'univers dans son état actuel ne serait donc pas nécessaire. Cette distinction m'est inintelligible.

    Quel principe logique exige qu'une chose nécessaire ne puisse pas être différente de ce qu'elle est? Qui dit qu'une chose nécessaire doit être immuable? Dans quel autre cas philosophique ce critère intellectuel est-il admis?

    Je peux penser à une abondance d'exemples où une chose nécessaire peut être différente et changeante. Un pont est nécessaire pour traverser une rivière, mais le pont être en bois ou en pierre et il peut être modifié. Pourquoi la cause nécessaire de tout ce qui existe ne pourrait-elle pas être différente et changeante?

    Une autre illustration que j'ai lue est celle-ci : si on se promène en forêt et qu'on trouve une balle rouge, on exige une explication à cette balle même si on n'observe pas de cause. Il est déraisonnable de supposer que cette balle existe sans explication ; ce serait la même chose avec l'univers. Cette illustration repose sur une confusion flagrante.

    La balle rouge qu'on trouve dans la forêt n'est évidemment pas éternelle : il est déraisonnable de supposer qu'il s'agit d'une chose incréée qui existe depuis toujours. On suppose donc qu'elle est créée, qu'elle a commencé à exister à un moment donné. C'est pour cette raison qu'on cherche sa cause et qu'on exige une explication : ce n'est pas parce que son existence, en elle-même, exigerait une explication.

    Prétendre que ce qui est vrai des parties est forcément vrai du tout est un sophisme de composition. Chacune des parties d'un bateau coule, mais le bateau entier ne coule pas pour autant. Donc, même si toutes les parties de l'univers sont contingentes, l'univers entier n'est pas forcément contingent. L'univers entier doit être envisagé de façon distincte de chacune de ses parties. On observe que chaque partie de l'univers est causée par d'autres parties de l'univers, mais cela ne nous révèle rien sur l'univers entier.

    Tout le débat consiste à savoir si l'univers est causé ou s'il est une cause non-causée. L'argument de la contingence prétend qu'on peut déduire une cause à l'univers parce qu'il devrait être expliqué par autre chose que lui-même. Pourtant, dans la mesure où une chose est vraisemblablement éternelle, je ne vois pas en quoi elle nécessite une explication.

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  2. Bonjour Sylvain

    J’ai eu un peu la même réaction que vous la première fois que j’ai commencé à m’intéresser aux démonstrations de l’existence de Dieu. L’exemple que vous donner avec la nécessité du pont pour traverser une rivière me rappelle bien ma première réaction.

    À force de creuser l’argument de la contingence, je me suis rendu compte qu’en fait je me trompais sur la signification de « nécessaire ». Quand l’argument de la contingence affirme que les choses sont nécessaires ou contingentes, ce n’est pas « nécessaire » au sens d’une nécessité de moyen (comme un pont pour traverser une rivière, une auto pour franchir 100km en une heure, cela même si on ne pourrait pas y parvenir sans ce moyen). Ce moyen « nécessaire » pourrait tout de même être « contingent ». Si on fait attention aux équivoques, cette phrase n’est pas contradictoire et vous allez voir pourquoi.

    Le mot « nécessaire », dans le contexte de l’argument de la contingence pour l’existence de Dieu, est basé sur le principe de raison suffisante : « Tout ce qui existe a une raison d'être, en soi-même ou en autre chose ». Ce principe distingue deux types de choses :

    a) Ce qui est contingent : Ce qui existe et qui a sa raison d'être en autre chose
    b) Ce qui est nécessaire : Ce qui existe et qui a sa raison d'être en lui-même

    Nous ne parlons donc pas ici de nécessiter de moyen comme dans le cas du pont nécessaire pour traverser la rivière. Dans ce cas, même si le pont est nécessaire en termes de moyen, le pont n’est pas un être nécessaire au sens de la dualité contingence/nécessaire, car l’existence du pont doit avoir une cause en dehors de lui-même (quelqu’un doit l’avoir construit, avec tel ou tel matériaux, selon tel plan, etc.).

    Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites « Tout le débat consiste à savoir si l'univers est causé ou s'il est une cause non causée ». En effet, il est vraiment là tout le débat. Le fait que l’univers a eu un commencement (il y a 14 milliards d’années) est une caractéristique indéniable de sa contingence, car l’être nécessaire ne peut pas avoir commencé. Le fait qu’il soit aussi composé de matières configurées d’une façon précise est aussi un signe de contingence, puisqu’on peut concevoir facilement d’autre façon d’arranger la matière. En fait, tout ce qui nous semble arbitraire, particulier, injustifié est signe de contingence si on ne peut pas trouver en lui-même la justification de ce qui nous semble arbitraire, particulier ou injustifié. L’univers nous semble donc être davantage être un effet qu’une cause première.

    C’est pourquoi la cause de première de l’univers doit être un être intemporel, immatériel (et on pourrait en déduire logiquement d’autres attributs de Dieu comme, l’immuabilité, la toute-puissance, la simplicité (non composé), qu’il soit une personne, etc.). C’est pourquoi affirmer que Dieu soit la cause de l’univers est un raisonnement logique. Si on n’aime pas le mot Dieu, on peut ne pas le nommer ainsi, mais on est tout de même obligé logiquement à dire que cette « chose » est immuable, sans cause, intemporelle, immatérielle, etc. et que cela correspond à la définition de Dieu tel qu’on la trouve dans les grandes religions monothéistes comme le christianisme, le judaïsme et l’islam.

    Si vous voulez aller plus loin sur ce sujet, je recommande ce livre : https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/8603/dieu-existe qui traite précisément pendant tout le chapitre 2 de ce sujet

    Est-ce que cela vous éclaire un peu? Qu’en pensez-vous?


    Que Dieu vous guide dans vos recherches

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    1. Bonjour Miguel

      (désolé d'avoir publié comme un visiteur! on peut reprendre le tutoiement)

      Tu affirmes deux choses au sujet de l'univers : qu'il a un commencement et qu'il est configuré d'une façon précise. J'aborde ces deux points séparément.

      L'univers a un commencement. En effet, la théorie du Big Bang indique que l'univers a un commencement. Cependant, j'avais compris que l'argument de la contingence est supposé être valide même si l'univers était éternel. À ma connaissance, l'argument fondé sur le commencement de l'univers est plutôt l'argument du Kalām. Il s'agirait donc de deux arguments distincts. Je me trompe?

      Par ailleurs, l'argument du Kalām est fragile pour deux raisons. D'une part, il repose sur les connaissances scientifiques actuelles. Si les connaissances scientifiques changent, l'argument cessera d'être valide. D'autre part, les scientifiques ont déjà formulé au moins deux hypothèses alternatives à la cause divine : la singularité et le multivers. Ces hypothèses ne sont pas prouvées, mais elles démontrent que la transcendance divine n'est pas la seule cause possible du commencement de l'univers. La réalité immanente peut être éternelle même si notre univers ne l'est pas. Les implications de l'argument du Kalām me semblent donc limitées.

      L'univers est configuré de façon précise. Tu écris "tout ce qui nous semble arbitraire, particulier, injustifié est signe de contingence si on ne peut pas trouver en lui-même la justification de ce qui nous semble arbitraire, particulier ou injustifié". C'est là où l'argument m'est inintelligible. Puisque, dans le contexte de l'argument de la contingence, la raison d'être d'une chose n'est pas assimilable à son objectif ni à son utilité - tu posais cette distinction avec l'exemple du pont - je ne discerne pas le fondement ni le sens de cette notion.

      Dans tous les autres cas où on exige une explication ou une raison d'être à une chose, c'est parce que nous avons des raisons de croire que cette chose a une cause : parce qu'on lui observe une cause ou parce qu'il est clair que cette chose n'est pas éternelle et qu'elle a un donc un commencement. Mais si une chose vraisemblablement éternelle n'a pas de cause observable, je ne connais aucun principe logique qui exige de lui trouver une raison d'être ou de déduire qu'elle est causée.

      Y a-t-il un autre cas philosophique où on invoque cette notion? Je n'en connais pas.

      J'ai l'impression que la prémisse de l'argument de la contingence est identique à sa conclusion : la cause de l'univers doit être immatérielle et immuable parce que la cause de l'univers doit être immatérielle et immuable... C'est cette prémisse que je questionne - car elle n'est pas admise par les sceptiques - et je peine à saisir les réponses qu'on m'offre.

      Je suis circonspect à l'idée de me lancer dans la lecture que tu suggères puisque, jusqu'à maintenant, je n'ai lu que des élaborations de l'argument alors que je cherche des défenses de sa prémisse. Est-ce que ce livre défend spécifiquement la prémisse selon laquelle seul un être immatériel et immuable n'a pas besoin de raison d'être extérieure à lui-même? Si c'est le cas, j'apprécierais que tu m'en partages un bref aperçu afin d'en discerner la teneur.

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    2. Bonjour Sylvain

      Je ne savais pas que c’était toi

      C’est tout à fait cela pour la distinction entre l’argument de la contingence et celui du Kalam. J’ai traduit un article récemment sur la distinction entre les deux arguments qui sont dit vertical et horizontal, car il y a souvent beaucoup de confusion : https://www.foicatholique.com/2019/07/arguments-existence-dieu-cosmologique.html

      Le Kalam serait effectivement réfuté si on pouvait démontrer que l’univers est éternel. C’est donc vrai que l’argument du Kalam est plus sensible aux découvertes scientifiques. Cependant, jusqu’à maintenant, les modèles sans commencement semblent beaucoup plus faibles que celui (ceux?) avec un commencement.

      « It is said that an argument is what convinces reasonable men and a proof is what it takes to convince even an unreasonable man. With the proof now in place, cosmologists can no longer hide behind the possibility of a past-eternal universe. There is no escape, they have to face the problem of a cosmic beginning (Vilenkin, Many Worlds in One, New York: Hill and Wang, 2006, p.176).”

      Pour ce qui est de l’argument de la contingence, il serait toujours valide même dans le cas d’un univers éternel. Si avoir un commencement rend nécessairement une chose contingente, en sens inverse, ne pas avoir de commencement ne veut pas dire qu’on est nécessairement un être nécessaire, puisqu’il serait possible d’être à la fois contingent et éternel sans contradiction. Il ne faut donc pas affirmer trop rapidement qu’un être éternel est automatiquement un être nécessaire. Si on peut tirer une conclusion d’un côté, on ne peut pas le faire de l’autre. L’éternité est une caractéristique obligatoire de l’être nécessaire, mais elle n’est pas suffisante.

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    3. Donc pour l’univers, s’il a vraiment commencé, il n’a donc pas d’échappatoire possible, il est contingent et il doit avoir une cause qui est hors de lui, avec tout ce que cela implique (hors du temps, de l’espace, de la matière, etc.). Tu es d’accord avec moi sur ce point ? Non ?

      Si l’on veut postuler tout de même l’éternité de l’univers, il a tout de même d’autres caractéristiques qui montrent sa contingence. Ce qu’il faut donc démontrer, c’est que sa raison d'être se trouve en une autre chose et non pas en lui-même. Lorsque l’on peut concevoir sans contradiction la négation d’une situation particulière, alors nous devons en conclure que nous avons affaire à quelque chose de contingent et qui nécessite une raison d’être, une explication. Qu’il est un effet nécessitant une cause. Si donc on peut concevoir l’inexistence de l’univers ou son existence de façon différente sans contradiction, c’est que l’univers est contingent. Tout comme pour le pont de notre exemple précédent, qui pourrait ne pas être là ou être fait de métal plutôt que de bois

      On remarque que dans l’univers, la matière et l’énergie sont en quantité déterminée (arbitraire). Qu’ils ont des propriétés particulières et qu’ils sont soumis à des lois. Que l’univers a des constantes de départ, etc. Ce sont toutes des caractéristiques qui nous poussent à penser qu’il doit être contingent. Qu’il lui faut une cause en dehors de lui-même. Tout cela aurait pu être différent (quantité d’énergie différente, loi différente (eau qui bouillirait à 60 au lieu de 100, constante gravitationnelle différence), etc., et donc nécessite une explication pour expliquer ces déterminations.

      On comprend alors aussi pourquoi la cause première ne peut pas être composée de matière et d’énergie et ne doit même pas pouvoir être quantifiable ou même composé… puisqu’il ne pourrait pas être nécessaire. C’est ainsi qu’en philosophie, on s’approche très précisément d’attributs de Dieu uniquement grâce à l’argument de la cause première et de la contingence. Immatérialité, intemporalité, simplicité, unicité, etc. Ultimement, l’être nécessaire ne peut avoir que l’existence comme essence « Je Suis celui qui Suis » et c’est tout à fait logique lorsqu’on pousse le raisonnement au maximum. La candidature de notre univers est vraiment pauvre avec tous ces critères pour être la cause première… « C'est cette cause que nous appelons Dieu » (comme dirait saint Thomas).

      Est-ce que c’est un peu plus clair maintenant ?

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    4. "Donc pour l’univers, s’il a vraiment commencé, il n’a donc pas d’échappatoire possible, il est contingent et il doit avoir une cause qui est hors de lui, avec tout ce que cela implique (hors du temps, de l’espace, de la matière, etc.)."

      Je suis d'accord, sauf que je ne suis pas sûr que nous parlons du même "tout ce que cela implique". La cause de l'univers doit être hors de l'univers, mais Dieu est-il le seul être que nous pouvons concevoir hors de l'univers?

      Ce que les scientifiques d'aujourd'hui postulent est que l'univers a une cause extérieure à lui-même, mais que cette cause n'est pas une divinité immatérielle : c'est un être aussi matériel que l'univers. Je citais les exemples de la singularité et du multivers. Dans ces deux cas, l'univers a un commencement mais la cause de son commencement est un autre être matériel (étant admis que, à l'origine, il doit y avoir un être éternel). Ces hypothèses ne sont pas prouvées mais elles indiquent que la cause de l'univers n'est pas forcément divine, et donc que le Big Bang n'est pas une preuve de l'existence de Dieu.

      On peut dire que le commencement de l'univers est un indice de l'existence de Dieu. À cela, les sceptiques répondent que les croyants ont constamment attribué à Dieu les phénomènes naturels qu'ils ne comprenaient pas, et que l'argument du Kalām n'est que la version la plus récente de ce Dieu bouche-trou. C'est à ce point que se concluent la plupart des débats au sujet de l'argument du Kalām.

      Revenons donc au postulat de l'univers éternel. Ce postulat est assimilable au postulat plus large d'un être matériel et éternel : singularité, multivers ou autre. Face à la l'argument de la contingence, un multivers éternel est la même chose qu'un univers éternel.

      Tes nouvelles explications sur les attributs des êtres contingents sont plus claires, mais je continue à y voir une prémisse plutôt qu'une démonstration. Tu écris "Lorsque l’on peut concevoir sans contradiction la négation d’une situation particulière, alors nous devons en conclure que nous avons affaire à quelque chose de contingent et qui nécessite une raison d’être, une explication." Ceci est le principe logique sur lequel l'argument de la contingence est fondé.

      Quel est le nom de ce principe logique? Si j'ai bien compris, tu admets que ce principe n'existe nulle part ailleurs que dans les arguments de la cause première et de la contingence. Si ce principe n'existe nulle part ailleurs que dans ces arguments, et qu'il n'est admis que par les défenseurs de ces arguments, comment peut-on prétendre qu'il s'agit d'un principe logique?

      Il me semble que les principes logiques doivent être des notions sur lesquelles tous les logiciens s'entendent. Si on expose une démonstration fondée sur un principe logique qui n'est pas admis par l'ensemble des logiciens, le problème n'est pas la démonstration : c'est le principe logique. Si des logiciens affirment que ceci n'est pas un principe logique, comment peut-on leur exposer qu'ils ont tort?

      Si un logicien affirme qu'une chose particulière mais éternelle dont on peut concevoir sans contradiction la négation ne nécessite pas d'explication pour autant, que peut-on lui répondre?

      Selon ma propre intuition, les choses éternelles ne nécessitent pas d'explication, peu importe leurs autres caractéristiques.

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    5. Bonjour Sylvain

      On peut toujours postuler des causes précédentes à l’univers, mais si elles sont elles aussi matérielles, temporelles, etc., on ne fait que repousser le problème d’un cran. Si le multivers est composé de matière déterminée, obéit à des lois, a des constantes, etc. on se retrouve avec la même nécessité de lui trouver une cause que l’univers.

      Si on qualifie de bouche-trou tout ce qui est postulé comme explication de l’univers, alors postuler l’existence d’un multivers n’est pas moins bouche-trou que postuler l’existence de Dieu. C’est tout de même drôle qu’historiquement parlant, ce n’est que depuis la connaissance des constantes de l’univers que les scientifiques ont commencé à postuler le multivers… car il a vraisemblablement dans notre univers quelque chose qui nécessitait une explication. Sa postulation en elle-même trahit donc ceux qui voudraient nier le principe de raison suffisante, sinon pourquoi postuler s’il n’y a rien à expliquer? C’est que multivers permet d’avoir une machine à créer des univers (on créé ainsi une sorte de boulier de loterie) pour expliquer que les constantes de notre univers soient si finement réglées pour permettre la vie (et justifier ainsi le fait qu’on semble avoir gagné à loterie). Nous ne savons pas si nous serons capables un jour d’explorer ce qui est en dehors de l’univers, tout comme ne nous pouvons pas explorer Dieu avec la science. L’un est aussi bouche-trou que l’autre selon moi.

      Cependant, les deux hypothèses ne me semblent pas égales en probabilité. L’athée ou l’agnostique qui veut postuler le bouche-trou du multivers doit d’abord réfuter le big-bang, communément vu comme le modèle le plus viable, puis postuler un multivers (matériel?) dont on sait qu’il ne satisfera probablement pas les critères de la cause première et qu’il devra donc postuler autre chose… si on a la chance de pouvoir un jour examiner ce multivers.

      En revanche, le bouche-trou Dieu ne contredit pas le modèle actuel du big-bang et constitue aussi un candidat viable pour la cause première. En plus, l’hypothèse Dieu serait encore un « bouche-trou » viable dans le cas où il y aurait vraiment un multivers qui serait lui aussi matériel, temporel, etc. J’y vois donc une probabilité plus forte pour le bouche-trou Dieu que le multivers (le premier n’exclut pas nécessairement le deuxième et le deuxième peut nécessiter tout de même le premier). Sans compter les autres arguments pour l’existence de Dieu, les témoignages, les miracles, etc.

      Le principe qui est utilisé est celui de la raison suffisante. Il vient d’Artistote, mais il a été utilisé par plusieurs penseurs comme Thomas d’Aquin et Leibniz. Il a bien sur été critiqué et a ses détracteurs, comme tous les principes philosophiques. Cela arrive tout le temps. Après tout, certains ont même tenté de nier le principe de contradiction.

      Tu dis « Selon ma propre intuition, les choses éternelles ne nécessitent pas d'explication, peu importe leurs autres caractéristiques. » Je crois que cela est faux. Par exemple, imaginons un soleil éternel qui éclairerait la Terre de ses rayons. Voyant ou ressentant ces rayons depuis la Terre, on sera en droit d’y chercher une cause, car les rayons doivent puiser leur énergie dans une source. Même si les rayons sont éternels, comme le rayon n’a pas en lui-même sa cause d’existence, alors nous devons lui chercher une cause, dans ce cas-ci le soleil.

      Qu’est-ce que tu en penses ?

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    6. Je suis d'accord que le multivers aussi est un bouche-trou. Ce postulat est une spéculation. Les scientifiques eux-mêmes ne disent pas le contraire. Ils soutiennent simplement que la découverte d'un commencement à l'univers n'est pas une preuve de l'existence de Dieu. Le fait que notre univers matériel ait commencé à exister à un moment donné n'implique pas que sa cause soit immatérielle. La cause d'un univers matériel peut être matérielle autant qu'elle peut être immatérielle ; il n'y a aucune nécessité logique dans un sens ou dans l'autre.

      Je mentionnais le Dieu bouche-trou pour écarter l'argument du Kalām qui, selon moi, est un indice plutôt qu'une preuve. Ce serait intéressant d'élaborer davantage sur la force et la pertinence relatives de cet indice, mais ce n'est pas ce que je souhaite faire ici. Je veux centrer notre échange sur l'argument de la contingence, qui est supposé être applicable à notre univers autant qu'à un multivers éternel. J'essaie de comprendre la valeur persuasive de cet argument de façon distincte de tous les autres arguments puisque, comme je te le mentionnais, celui-ci m'est inintelligible.

      Tu soulèves un bon point en faisant valoir que, en soi, la postulation du multivers est une sorte d'aveu que l'univers exige une explication. Cependant, c'est le réglage fin (fine-tuning) de l'univers qui exige cette explication. Le multivers a aussi été postulé en réponse au Big Bang qui démontre que l'univers a commencé. Le postulat du multivers est donc bel et bien un aveu que l'univers exige une explication, mais ce n'est pas la contingence de l'univers qui exige cette explication : c'est son réglage fin et son commencement.

      Tous les principes philosophiques sont critiqués, mais la plupart des principes logiques sont admis. Ceux qui ont tenté de nier le principe de contradiction n'étaient pas vraiment des logiciens ; en tout cas, ils ont été dûment contredit par l'ensemble des logiciens. Il me semble donc que, si l'argument de la contingence repose sur un principe philosophique critiqué, il ne faudrait pas le présenter comme un argument logique. Il faudrait le présenter comme un argument strictement philosophique. C'est peut-être une nuance, mais je me soucie de la sémantique!

      Ton analogie du soleil éternel invalide mon intuition de façon concluante. Un effet, une chose éternelle peut exiger une explication si on discerne qu'elle ne contient pas sa source. Je vais donc m'efforcer d'évacuer cette intuition de mes réflexions!

      Il faut donc distinguer les êtres qui ne nécessitent pas d'explication puisqu'ils contiennent leur propre source (comme le soleil) et les êtres qui nécessitent une explication puisqu'ils ne contiennent pas leur propre source (comme les rayons). Sauf que, avec l'argument de la contingence, nous posons la question en termes conceptuels plutôt qu'en termes matériels, et nous cherchons donc une raison d'être plutôt qu'une source d'énergie.

      Cette analogie m'aide à discerner le registre de l'argument, mais je ne reconnais pas en quoi toute chose matérielle, fut-elle éternelle, nécessite une raison d'être au même titre que des rayons, furent-ils éternels, nécessitent une source d'énergie. Je voudrais donc lire davantage au sujet de la raison suffisante. Si je comprends bien, le principe de la raison suffisante est le fondement de l'argument de la contingente. Si je n'ai pas une idée claire de ce qu'est le principe de la raison suffisante, il est normal que l'argument de la contingence me soit inintelligible.

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    7. Bonjour Sylvain

      Pour ce qui est de savoir si c’est possible qu’une cause matérielle engendre un univers matériel, je dois faire quelques relectures, car je n’en suis pas certain. C’est certain qu’il ne pourrait pas s’agir de la même matière. Dans ce cas, cette cause préalable se servirait de sa matière pour créer de la nouvelle matière à partir de rien (ex nihilo)… c’est vraiment très louche tout ça… c’est selon moi peu plausible…

      Je que je sais par contre, c’est que toute chose matérielle est par définition particulière et donc qu’elle est très probablement contingente et donc a besoin d’une cause pour l’expliquer. La matière étant déterminée en termes de quantité (pour ne prendre que cette particularité), alors la seule façon qu’un être matériel pourrait répondre adéquatement au principe de raison suffisante pour sa quantité, se proposant ainsi comme être nécessaire, serait que l’une de ses deux conditions soit remplis :

      1) Que ces quantités en question soit nécessaires au sens métaphysique et donc que leur négation implique contradiction. Dans ce cas, nous savons que ce n’est pas le cas, car nous pouvons très bien imaginer un univers qui a 3 atomes d’hydrogène de plus ou une constante gravitationnelle légèrement plus haute sans que cela n’implique de contradiction (mais dans ce dernier cas pas de vie).

      2) Que ces quantités en question soient nécessaires au sens physique et donc que ces quantités aient une cause physique qui fait qu’elle ne pourrait pas avoir d’autres valeurs. Cela demande un peu plus de réflexion à réfuter, mais présentement en tous les cas nous ne voyons pas comment les quantités que nous observons pourraient être nécessaires par un quelconque mécanisme ou loi de la nature. Certains cherchent une théorie ultime qui expliquerait même cela. Au sujet de cette théorie, voici ce qu’en dit le physicien Steven Weinberg (je reproduis ici la citation du livre) :

      Je dois admettre que, même quand les physiciens seront allés aussi loin qu'il est possible d'aller, quand nous aurons une théorie finale, nous n'aurons pas un tableau entièrement satisfaisant du monde, car nous resterons toujours avec la question « Pourquoi ? ». Pourquoi cette théorie, plutôt qu'une autre ? Par exemple, pourquoi le monde est-il décrit par la mécanique quantique ? La mécanique quantique est une partie de la science physique actuelle qui devrait survivre intacte dans toute théorie future, mais la mécanique quantique n'a rien de logiquement inévitable ; je peux très bien imaginer un univers gouverné par la mécanique newtonienne en lieu et place de la mécanique quantique. Il semble donc y avoir un mystère irréductible que la science n'éliminera pas

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    8. D'un point de vue intuitif, il était peu plausible que le temps soit une dimension matérielle affectée par la gravité, et c'est pourtant avéré aujourd'hui. Les lois de la matière sont parfois beaucoup plus étonnantes et incongrues qu'on s'y attendait.

      Tes réflexions additionnelles au sujet de la nécessité de la quantité de la matière me sont encore une fois inintelligibles. Je comprends que la matière est toujours particulière et qu'il n'y a pas d'explication à sa quantité particulière, mais j'échoue complètement à reconnaître un besoin d'explication à ce sujet. Je ne vois pas en quoi une matière éternelle serait des rayons éternels plutôt qu'un soleil éternel. Je suppose que je ne suis pas assez familier avec le principe de la raison suffisante - autant pour y adhérer que pour le critiquer - mais c'est tout-à-fait étranger à mon intuition malgré toute ma bonne volonté.

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