
La papauté existait-elle quand Jean était encore vivant?

Selon moi, l'un des arguments les plus forts contre la papauté (ou au moins l'un des plus intéressants) est que le point de vue catholique nous oblige à considérer que les premiers papes après Pierre avaient autorité sur saint Jean l'évangéliste, même si ces papes n’étaient pas des Apôtres et que Jean en était un.
Comment pouvons-nous répondre à cette objection? Je crois que le plus simple est de se tourner vers l'histoire. Comme par exemple, en se demandant ce à quoi ressemblait l'Église lorsque Clément était en charge et que l'Apôtre Jean qui était encore vivant? Nous pouvons effectivement répondre à cette question dans une certaine mesure, parce que nous avons des écrits à la fois de Clément et de Jean. La réponse pourrait vous surprendre. Pour explorer cela, je propose trois questions: (1) Quand Saint Clément a-t-il écrit aux Corinthiens ? (2) Quand l'Apôtre Jean est-il mort ? et (3) Pourquoi est-ce important?
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Pape saint Clément (Clément de Rome), auteur de la première lettre de Clément |
Réponse: en 95 ou 96 après Jésus-Christ
À l'Université d'Exeter, David G. Horrell explique: « Même si une datation précise et irréfutable de la première lettre de Clément est impossible, il est largement admis qu'elle a été écrite dans la dernière décennie du premier siècle, peut-être autour de l’an 95 ou 96 »
Sur cette question, le consensus scientifique moderne est en accord avec le témoignage des premiers chrétiens, qui disent que Clément était le troisième évêque de Rome (ou quatrième, si vous comptez Saint Pierre, qui était à la fois Apôtre et évêque). Tertullien, qui a écrit autour de l’an 200, décrit comment, contrairement aux sectes hérétiques, l'Église catholique a la succession apostolique. En décrivant cette succession, Tertullien note que Saint Clément a été ordonné par Saint Pierre et était évêque de Rome:
Montrez l'origine de vos Églises; déroulez la série de vos évêques se succédant depuis l'origine, de telle manière que le premier évêque ait eu comme garant et prédécesseur l'un des apôtres ou l'un des hommes apostoliques restés jusqu'au bout en communion avec les apôtres. Car c'est ainsi que les Églises apostoliques présentent leurs fastes. Par exemple, l'Église de Smyrne rapporte que Polycarpe fut installé par Jean; l'Église de Rome montre que Clément a été ordonné par Pierre. De même encore, d'une façon générale, les autres Églises exhibent les noms de ceux qui, établis par les apôtres dans l'épiscopat, possèdent la bouture de la semence apostolique.
Eusèbe, le premier historien de l'Église, écrit que « Clément, qui a été nommé troisième évêque de l'église à Rome, était, comme Paul en témoigne [dans Philippiens 4, 3], son collaborateur et compagnon d'armes. »
Cela concorde également avec le texte lui-même. Le pape Clément réfère au martyre de Pierre et Paul comme des exemples de héros spirituels de « notre propre génération » :
Mais laissons là les faits anciens ; venons aux athlètes de nos jours ; prenons les beaux exemples que nous offre notre siècle. Nous verrons l’envie livrer les fidèles enfants de l’Église, ses véritables colonnes, à des persécutions qui ont été jusqu’à la mort. Portons nos regards sur les saints apôtres. L’injustice de l’envie a fait passer Pierre par d’innombrables épreuves, qui lui valurent cette couronne du martyre avec laquelle il est entré dans le séjour de la gloire due à ses combats. Elle a fait remporter le prix de la patience à Paul, qui fut jeté sept fois en prison, battu de verges et lapidé. Devenu le hérault de l’Évangile, du touchant à l’aurore, il reçut, en récompense de sa foi, une gloire incomparable. Après avoir éclairé le monde entier et s’être avancé jusqu’aux extrémités de l’Occident, il souffrit le martyre par l’ordre des magistrats. C’est ainsi qu’il abandonna la terre pour aller habiter le séjour même de la sainteté, nous laissant un sublime exemple de patience.
Clément commence aussi sa lettre en expliquant que son retard était dû « aux événements catastrophiques soudains et successifs qui ont nous sont arrivés », une référence apparente aux persécutions de l'empereur Domitien. Enfin, il invite ses lecteurs à « se souvenir » des paroles de Jésus, plutôt que de citer l'un des Évangiles, ce qui supporte une datation de l’an 95-96.
2. Quand l'Apôtre Jean est-il mort ?
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1 Pontormo, Saint Jean l’Évangéliste (1525) |
Le site Christian Courier a fait un très bon résumé (en anglais) qui présente les raisons pourquoi le livre de l'Apocalypse date probablement de 96 après Jésus-Christ, plutôt que de 68 ou 69 (le point de vue prétériste). Aussi, L'Encyclopédie d'Oxford des livres de la Bible explique que l'Évangile de Jean n’est pas un document du deuxième siècle (en anglais), comme l'avaient revendiqué les adversaires du christianisme orthodoxe:
Durant le XIXe siècle, les savants ont datées l'Évangile [de Jean] jusqu’à la dernière moitié du deuxième siècle, en raison de leur perception de son influence hellénistique. Cependant, au XXe siècle, deux facteurs se sont combinés pour pousser la date de la composition un peu plus tôt. Premièrement, le John Rylands Library Papyrus (P52), un petit fragment d'un codex de papyrus avec quelques versets de Jean 18, a été découvert en 1935 et daté diversement entre 117 et 150, indiquant une date de composition au plus tard à la fin du premier siècle, étant donné le temps nécessaire pour que le texte se propage jusqu’à l'Égypte. Deuxièmement, les découvertes de la mer Morte à Qumrân en 1948 et leur analyse subséquente, ont fourni des preuves supplémentaires à la fois pour la diversité complexe et l’hellénisation approfondie du judaïsme du premier siècle et aussi pour l’arrière-plan juif des motifs johanniques, qu’on pensait auparavant tirées du monde des Gentils, tel que la dualité lumière / obscurité, au premier plan dans le prologue (Jean 1, 4-5). Une date raisonnable pour la composition de l'Évangile est alors avant l’an 100.
L'encyclopédie poursuit en affirmant que de postuler une date antérieure est plus difficile et que le consensus général est que l'Évangile de Jean remonte aux années 90.
Une fois de plus, nous trouvons un consensus scientifique émergent sur la datation de l'Évangile de Jean et de l'Apocalypse, qui correspondent à ce que nous trouvons dans les témoignages des Pères de l'Église, qui sont clairs sur le fait que Jean écrivit l'Apocalypse peu de temps après la mort de l'empereur Domitien, tandis que Jean était en exil. Saint Irénée de Lyon écrit dans Contre les hérésies (en 180) que l’Apocalypse a été écrite il y a peu, « presque à notre époque, vers la fin de du règne de Domitien ».
Clément d'Alexandrie (155-215) [ce n’est pas le même Clément que le pape Clément, mais plutôt l’évêque d'Alexandrie du deuxième siècle] est d'accord sur la date et note que l'apôtre Jean était encore actif en tant qu'apôtre au cours de cette période de temps:
Car, à la mort de du tyran [Domitien], il [l'apôtre Jean] revint à Éphèse de l'île de Patmos, il est parti, étant invité, aux territoires contigus des nations, ici pour nommer les évêques, tantôt pour mettre en ordre des Églises entières et tantôt pour ordonner ceux qui ont été marqués par l'Esprit.
Donc, le pape Clément et l'apôtre Jean écrivent tous deux dans le contrecoup immédiat de la persécution de Domitien. Cela nous donne une date très précise : le 18 septembre 96, date de l'assassinat de l'empereur Domitien. Quant à la mort de saint Jean, il est évident qu'elle a eu lieu plus tard. L’an 100 est le consensus (accepté, même par ceux qui n’acceptent la datation de 96 pour l'Apocalypse), qui est en accord avec le témoignage patristique que Jean écrivit l'Apocalypse alors qu'il était un «vieil homme».
3. Pourquoi est-ce important?
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Carte illustrant troisième voyage missionnaire de saint Paul, y compris à Corinto (Corinthe) |
L’Église de Dieu qui est à Rome, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, aux élus sanctifiés, selon sa volonté, par Jésus-Christ, notre Seigneur : que la grâce, que la paix se multiplient sur vous, par le Dieu tout-puissant, en vertu des mérites de Jésus-Christ.
C’est à cause des maux et des afflictions qui nous sont survenus tout à coup, et qui se sont succédé sans relâche, que nous avons si longtemps tardé à répondre aux diverses questions que vous nous avez proposées, et à nous occuper de cette division odieuse, impie, en horreur aux élus de Dieu, voyageurs ici-bas : division que des hommes irréfléchis et téméraires ont allumée parmi vous et poussée si loin, que votre nom vénérable, célèbre par toute la terre, digne de l’amour de tous les hommes, est indignement blasphémé.
Qu'est-ce que cela signifie?
Cela signifie que quand il y avait un schisme au sein de l'église de Corinthe, ils ont fait appel jusqu’à Rome pour obtenir assistance et consultation, même si l'apôtre Jean était encore vivant à l'époque. Nous ne savons pas exactement quand les Corinthiens ont écrit, mais c’était assez tôt pour que Clément soit désolé de sa réponse tardive en 96.
Mis à part le pape et les Apôtres, personne ne se faisait offrir ce genre de respect et de déférence à l'ère apostolique. Et quand Clément répond, il n'a pas peur d’ordonner aux schismatiques de revenir à la véritable Église:
Vous donc qui avez jeté les premières semences de division, soumettez-vous aux prêtres et recevez la correction fraternelle dans un véritable esprit de pénitence. Fléchissez l’orgueil de vos cœurs, apprenez à vous soumettre, quittez cette jactance de paroles si vaines et si superbes. Ne vaut-il pas mieux être petit et recommandable dans le troupeau de Jésus-Christ, que de se voir dépossédé de ses espérances par une trop haute opinion de soi-même ?
Donc, vous avez l'église romaine qui intervient dans le conflit d’une église locale et lui donner des ordres. Vous avez l'évêque de Rome qui parle au nom de toute l'Église de Rome. Et tout cela qui se passe pendant que l'apôtre Jean est encore vivant. L’ecclésiologie protestante courante aurait suggéré que cette question soit traitée entièrement au niveau de la congrégation locale, ou à défaut, en faisant appel à l'Apôtre encore vivant.
4. Quelle a été la réaction de l'Église à la première lettre de Clément?
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L'autre Clément: Saint-Clément d'Alexandrie |
Clément d'Alexandrie (l'autre Clément mentionné plus haut), après avoir cité des passages bibliques sur le martyre, continue:
En outre, dans l'épître aux Corinthiens, l'Apôtre Clément, dressant un portrait des gnostiques, dit: [...]
Même à la fin du livre de Saint-Jérôme De Viris Illustribus (des Hommes Illustres), datant de la fin du IVe siècle, nous entendons que la lettre de Clément est encore lue dans la liturgie, comme si elle était dans les Écritures:
Il [Clément] écrivit, en la personne de l’église romaine à l’église de Corinthe, une lettre forte utile, dont on fait lecture publique dans plusieurs lieux. Pour moi, j’y vois une grande ressemblance avec l’épitre aux Hébreux qu’on a mise sous le nom de Paul. On y trouve en effet plusieurs fois, non seulement le même sens, mais encore le même ordre dans les mots. La ressemblance est très frappante dans les deux.
Bien sûr, cela ne veut pas dire que la première lettre de Clément (ou toute autre encyclique papale après la deuxième épitre de Pierre) doit être contenue dans l'Écriture. Au contraire, cela montre que l'Église primitive semble beaucoup plus « papale » que vous pourriez vous y en attendre.
Cela ouvre aussi une perspective différente sur l’Évangile de Jean. Jean fait plusieurs fois référence à l'autorité de Pierre; par exemple, au milieu de son récit de la Résurrection, Jean souligne qu'il attendait Pierre avant d'entrer dans le tombeau (Jean 20, 4-5). Dans le chapitre suivant, il raconte comment, sur le commandement du Christ, Pierre a pu tirer seul le filet de poisson (Jean 21, 11) que les autres apôtres étaient incapables de tirer (Jean 21, 6). Puis il raconte comment le Christ commissionna le rôle de Pierre comme berger du troupeau (Jean 21, 15-17). Dans chacun de ces cas, ce sont des détails que seul Jean nous raconte, et (en supposant que le consensus général sur la datation de son Évangile soit correct) il le fait ainsi plusieurs décennies après la mort de Pierre. Alors pourquoi insister ainsi sur l'autorité de Pierre? Parce que Jean n’était pas un rival à Clément ou d’aucun autre des successeurs de Pierre. Les deux hommes avaient un rôle à jouer dans le Corps du Christ et Jean édifia ce Corps, sur la papauté.
Cet article est une traduction personnelle de l’article «Did the Papacy Exist While John Was Alive?» de Joe Heschmeyer.
Jeanégliseapôtresaint
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