Est-ce que Jésus réprimande Sa Mère aux noces de Cana?

Noces de Cana, vitrail de l'église catholique de Saint Raphael (Springfield, Ohio)

Dans l'Évangile de Jean, c’est Marie qui suscite le ministère miraculeux du Christ et le Christ lui répond d'une manière étrange. Elle le fait en le suppliant de changer l'eau en vin, le conduisant ainsi à son premier miracle public. En fait, le terme « supplier » n’est pas tout à fait juste. La conversation réelle - qui a lieu en présence de témoins - est beaucoup plus discrète, indirecte et facilement capable d'être mal comprise (même par les lecteurs chrétiens modernes). Voici comment Jean décrit cette scène :

Et le troisième jour, il se fit des noces à Cana en Galilée; et la mère de Jésus y était. Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples. Le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit: "Ils n'ont plus de vin." Jésus lui répondit: "Femme, qu'est-ce que cela pour moi et pour vous? Mon heure n'est pas encore venue." Sa Mère dit aux serviteurs: "Faites tout ce qu'il vous dira." (Jean 2, 1-5)

Que pensez de la réponse de Jésus à la demande de Marie?

1. Une mauvaise interprétation: Jésus réprimande Sa Mère

Une interprétation populaire protestante est que Jésus « réprimande » Sa Mère. Dans le commentaire exégétique sur l’Évangile de Jean de Baker, Andreas J. Köstenberger soutient que :

La poussée sous-jacente de la traduction de la phrase «Que me veux-tu, femme » dans le TNIV (la Bible anglaise : The New International Version) est « Qu’y-a-t-il de commun entre vous et moi » (pour autant que l'affaire en question est concernée)? La réponse implicite est : « rien ». L'expression est utilisée ailleurs dans les évangiles exclusivement sur les lèvres de démons qui s'opposent fortement Jésus (voir Matthieu 8, 29; Marc 1, 24). Comme les parallèles de l’Ancien Testament le montrent clairement, la phrase éloigne toujours les deux parties et elle porte souvent une connotation de reproche. Ceci suggère que Jésus exprime ici une réprimande assez forte à Marie (voir Matthieu 12, 46-50), similaire à sa réprimande à Pierre quand il a échoué à comprendre la nature de l'appel de Jésus (voir Matthieu 16, 23).

Ainsi, selon ce point de vue, Jésus traite Marie de la même façon dont les démons l'ont traité. James Rochford du blogue « Evidence Unseen » (lien en anglais) suggère que ce fut que parce que Jésus « faisait une pause de ses fonctions familiales (et commençait à se concentrer à plein temps sur son ministère public), Il a probablement ressenti le besoin de réprimander fortement Marie pour lui faire savoir qu'Il était appelé à décider lui-même de son ministère public, et non pas elle ».

Ironiquement, alors que cette interprétation a l'intention de minimiser l'importance de Marie, il a l'effet inverse: il présente Marie comme étant plus grande que Jésus. Après tout, cette interprétation de « réprimande » aurait du sens si le passage s’arrêtait là, ou si Marie s’en allait, réprimandée et châtiée. Mais ce n’est pas du tout ce qui est arrivé. Au lieu de cela, Marie répond en disant aux serviteurs: « Faites tout ce qu'Il vous dira », puis Jésus accomplit le miracle demandé par ces serviteurs.

Donc, dans cette interprétation protestante, si Marie fait une demande imprudente à Jésus, pour laquelle Il la lui reproche à juste titre: Il ne va pas ensuite faire un miracle juste parce que Sa Mère lui a demandé! Ensuite, elle passe par-dessus lui en s’adressant aux serviteurs, et Il flanche. Il finit par faire la chose même qu’Il lui a reproché de demander - un miracle imprudent - parce que Sa Mère le lui oblige en allant directement aux serviteurs. Ce point de vue ne fait pas seulement de Marie une femme un peu malicieuse, il l’a rend plus puissante que le Christ. Le Christ s’oppose à Sa Mère ... et perd.

De plus, si Marie demande quelque chose de mauvais, pourquoi Jésus l’a-t-il fait? Et si elle ne demande pas quelque chose de mauvais, pourquoi Jésus la « réprimande »-t-elle? Donc, cette interprétation de « réprimande » ne fait pas de sens.

Cimabue, la capture du Christ (13e siècle)

2. La bonne interprétation: Jésus avertit Sa Mère à propos de la croix

Il y a cependant une autre interprétation : Jésus avertit Sa Mère. Marie vient au Christ avec la demande implicite d'un miracle. Jésus lui répond en s’adressant à elle par « femme ». Beaucoup pourrait être dit sur ce titre et ses implications comme Marie étant la Nouvelle Ève (c’est le nom que donne Adam à Ève la première fois dans le jardin d'Éden, voir Genèse 2, 23). Pour l'instant, il est suffisant de reconnaître que ce n’est pas rude d’appeler Marie «femme»: Jésus le fait aussi pendant qu’Il est sur la Croix (Jean 19, 26-27) et Paul le fait dans Galates 4, 4, et dans les deux endroits,  cela est clairement quelque chose de positif.

Mais ensuite, Il la met en garde que son « heure n'a pas encore venu » (Jean 2, 4). Cela n’est pas une référence au début de son ministère terrestre. C’est une référence à Sa passion, comme nous le voyons à plusieurs reprises à la fois dans l'Évangile de Jean et dans les évangiles synoptiques. Examinez ces quatre phases du ministère de Jésus.

Premièrement, pendant son ministère, avant la Semaine Sainte:

  • «Ils cherchèrent donc à le saisir; et personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue » (Jean 7, 30).
  • «Jésus parla de la sorte dans le parvis du Trésor, lorsqu'il enseignait dans le temple; et personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue » (Jean 8, 20).


Immédiatement avant la Dernière Cène:

  • « Jésus leur répondit: "L'heure est venue où le Fils de l'homme doit être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul » (Jean 12, 23-24).
  • « Maintenant mon âme est troublée; et que dirai-je? Père, délivrez-moi de cette heure. Mais c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure." » (Jean 12, 27).
  • « Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, après avoir aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin » (Jean 13, 1).

À la dernière Cène:

  • « Quand l'heure fut venue, il se mit à table et les apôtres avec lui; et il leur dit : " J'ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous avant de souffrir. Car, je vous le dis, je ne la mangerai plus jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. " » (Luc 22, 14-16).
  • « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous vous lamenterez, tandis que le monde se réjouira; vous serez affligés, mais votre affliction se changera en joie. La femme, lorsqu'elle enfante, est dans la souffrance parce que son heure est venue. Mais lorsqu'elle a donné le jour à l'enfant, elle ne se souvient plus de ses douleurs, dans la joie qu'elle a de ce qu'un homme est né dans le monde » (Jean 16, 20-22).
  • « Voici que l'heure vient, et déjà elle est venue, où vous serez dispersés, chacun de son côté, et vous me laisserez seul; pourtant je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi » (Jean 16, 32).
  • «Ayant ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit: "Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie, Puisque vous lui avez donné autorité sur toute chair, afin qu'à tous ceux que vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle » (Jean 17, 1-2).


Enfin, dans le jardin de Gethsémani:

  • «S'étant un peu avancé, il tomba sur la terre; et il priait que cette heure, s'il était possible, s'éloignât de lui »  (Marc 14,35).
  • « Il revint une troisième fois et leur dit : " Dormez désormais et reposez-vous. C'est assez ! L'heure est venue; voici que le Fils de l'homme est livré aux mains des pécheurs. Levez-vous, allons ! Voici que celui qui me trahit est proche. " » (Marc 14, 41-42; voir Matthieu 26, 45-46).
  • «Et Jésus dit à ceux qui étaient venus contre lui, grands prêtres, commandants du temple et anciens : " Comme contre un brigand, vous êtes sortis avec des glaives et des bâtons ! Alors que chaque jour j'étais avec vous dans le temple, vous n'avez pas porté les mains sur moi. Mais c'est (maintenant) votre heure et la puissance des Ténèbres. » (Luc 22, 52-53).

Donc, l’ « heure » de Jésus est l'heure à laquelle il est trahi, arrêté et tué: le moment de Sa plus grande agonie et de Sa plus grande gloire. Voilà ce à quoi Il se réfère à chaque fois qu'Il mentionne «son heure » et c’est ce à quoi Il l’averti.

Donc, il y a un certain sens où le Christ veut « repousser » quelque chose, pour ainsi dire,  mais ce n’est pas parce que Marie a fait quelque chose de mal. Plutôt, c’est parce qu'Il veut s'assurer qu'elle sait exactement ce qu'elle demande. Si elle obtient de lui qu’Il s’implique dans ce miracle – et un miracle public - Il ne peut plus rester « caché ». Les années cachées ne seront plus et elle va le perdre dans les foules, pour ainsi dire. Il va plus faire partie de la maison de Nazareth: « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des abris, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer la tête » (Matthieu 8, 20). Le fait de se lancer dans ce ministère public va décidément le mettre sur la trajectoire de la Croix.

Lu dans cette lumière, à la lumière du reste du contexte biblique sur ce point, la réponse de Marie est logique. Elle est une acceptation fidèle du fait que la deuxième personne de la Trinité n'a pas pris notre humanité pour simplement rester à la maison. Après tout, la réponse de Marie est d'appeler les serviteurs à obéir au Christ (Jean 2, 5). Ce serait particulièrement ironique si, comme la première interprétation le suggère, elle disait cela tout en ignorant la réprimande de son Fils.

Un dernier point. La fidélité continue de Marie dans l'Évangile est essentielle pour l'histoire du salut. À maintes et maintes fois, elle accepte volontiers le plan de Dieu: elle apporte le Christ au monde dans l'Incarnation, elle contribue à le conduire vers son ministère public aux noces de Cana; et elle le suit à la Croix. Cela ne la rend pas plus puissante que Dieu (comme la première interprétation le suggérerait), mais son instrument le plus disposé.


Cet article est une traduction personnelle de l’article «Does Jesus Rebuke His Mother at the Wedding of Cana?» de Joe Heschmeyer. Vous pouvez consulter l’article original en anglais ici.

Commentaires

  1. Bonjour ! en ce qui concerne ceci : « Qu’y-a-t-il de commun entre vous et moi », dans Maria Valtorta apparemment Jésus dit que les traducteurs ont oublié de traduire un mot capital et qui donne tout son sens à cette phrase et c'est "désormais" : « Qu’y-a-t-il de commun entre vous et moi désormais ?» Ce qui voudrait dire que depuis l'annonce d'Esaïe 7,14 Jésus et Marie ferait corps (incarnation) et âme (crucifixion et résurrection) comme humble servante (pour Marie) et humble serviteur de Dieu (pour Jésus). En ce qui concerne le mot "Femme", j'emmet une hypothèse selon l'Evangile que par rapport à ce verset : "Car je n'ai point parlé de moi-même; mais le Père, qui m'a envoyé, m'a prescrit lui-même ce que je dois dire et annoncer. Et je sais que son commandement est la vie éternelle. C'est pourquoi les choses que je dis, je les dis comme le Père me les a dites." Jean 12,49 à 50. Ce qui voudrait dire que c'est Dieu le Père de Jésus-Christ qui dit Femme puisque pour nous catholique elle est épouse du Saint-Esprit. De même à la croix quand Jésus dit : "Femme voici ton fils" et au disciple bien aimé "voici ta mère" et au vu de la liaison entre ces deux phrases la seconde sous entend "fils, voici ta mère". Femme et fils, ce serait peut-être bien Dieu le Père en union à Jésus-Christ voire même Saint-Esprit qui prononce ces 2 phrases capitales. Et le texte dit même "et dès cette heure le disciple la prit chez lui" donc je crois qu'il faut prendre promptement Marie chez nous par la volonté de la Sainte Trinité. Qu'en pensez-vous ?

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