
Dignitatis Humanae : vue sous une herméneutique de la continuité (1/2)

Poser la bonne question
Pour bien interpréter Dignitatis Humanae, il est primordial de bien cerner la question que veut développer le document. Pour ce faire, nous allons examiner un extrait de son introduction :
Tous les hommes, d’autre part, sont tenus de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Église ; et, quand ils l’ont connue, de l’embrasser et de lui être fidèles.
De même encore, le saint Concile déclare que ces devoirs concernent la conscience de l’homme et l’obligent, et que la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance. Or, puisque la liberté religieuse, que revendique l’homme dans l’accomplissement de son devoir de rendre un culte à Dieu, concerne l’exemption de contrainte dans la société civile, elle ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ. En outre, en traitant de cette liberté religieuse, le saint Concile entend développer la doctrine des Souverains Pontifes les plus récents sur les droits inviolables de la personne humaine et l’ordre juridique de la société (DH 1).Après avoir fait la lecture de cet extrait, nous devons comprendre une chose fondamentale : il n'est pas question, dans ce document, de répondre à la question à savoir si tous les hommes sont tenus de chercher la vérité et de lui être fidèle. À cette question, le document répond lui-même qu'il « ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet du devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ ». La question précise auquel veut répondre ce document « concerne l’exemption de contrainte dans la société civile ». Autrement dit, Dignitatis Humanae ne veut pas développer la question à savoir si tous les hommes doivent professer la foi catholique et appartenir à l'Église catholique. La réponse est déjà donnée par l'affirmative dans son introduction. La question qui sert de fondation au document est :comment doit-on traiter les personnes qui ne professent pas la foi catholique et qui n'appartiennent pas à l'Église catholique. Cette distinction est tout à fait fondamentale pour pouvoir comprendre Dignitatis Humanae dans une herméneutique de continuité.
Droit et libre arbitre
Dignitatis Humanae va explorer un peu le mystère du libre arbitre de l'homme, c'est à dire de cette liberté qu'a l'homme à pouvoir choisir ses actions et ses pensées, en relation avec la souveraineté de Dieu. Dieu exige que tout homme l'adore et le serve, mais Dieu nous a aussi laissés libres de lui désobéir. Comme les droits absolus de l'homme proviennent de ce que Dieu lui permet, l'homme est libre de désobéir à Dieu, mais il n'a pas le droit de lui désobéir.
À ce point on voit un peu mieux la différence entre ce que l'homme est libre de faire et ce que l'homme a le droit de faire. Utilisons un exemple concret pour illustrer cela : un homme s'introduit dans un magasin d'informatique pour y voler un ordinateur. Bien entendu, cet homme est libre de commettre cet acte en exerçant par là son libre arbitre. Cependant, il n'a pas le droit de voler un ordinateur et cela sera très clair lorsqu'il se fera arrêter par la police pour cet acte.
La source de la confusion
La cause de beaucoup de confusion au sujet de Dignitatis Humanae est qu'on a souvent tendance à ignorer les définitions et les explications données par le document lui-même et qu'on a aussi tendance à importer les concepts qui proviennent de nos sociétés ou de nos cultures dans le texte. Par exemple, lorsque Dignitatis Humanae parle de « liberté religieuse », certains vont remplacer cela par « séparation de l'Église et de l'État » en interprétant le texte, parce que c'est ce que cela en est venu à signifier pour une bonne partie de l'occident. La « liberté religieuse » dont il est question dans le document est l'immunité contre la contrainte de la société civile afin que l'homme puisse rendre le culte dû à Dieu. Ce droit à la liberté religieuse est fondé sur la dignité humaine, qui a sa source en Dieu qui a créé l'homme libre.
La réponse de Dignitatis Humanae
Une fois ces distinctions faites et lorsqu'on a bien identifié la question du document, nous pouvons alors examiner comment Dignitatis Humanae répond à la question: comment doit-on traiter les personnes qui ne professent pas la foi catholique et qui n'appartiennent pas à l'Église catholique? La réponse en bref est : cet homme doit demeurer libre de toute contrainte et il ne doit pas être forcé à agir contrairement à ses croyances. Pour allez plus loin, il nous faut alors faire une distinction entre ce qui est passif et ce qui est actif. L'aspect passif comprend les choses que nous ne faisons pas à cause de nos croyances et l'aspect actif comprend ce que nous faisons à cause de nos croyances.
Prenons par exemple Omar, un musulman qui vient tout juste d’immigrer au Québec. Bien entendu, comme Omar est musulman et qu'il ne croit pas au mystère de l'Eucharistie, Omar ne va pas à la Messe le dimanche matin. S’il y avait au Québec une loi qui obligerait tous les citoyens à aller à la Messe le dimanche et qu'on arrêtait Omar parce qu'il est demeuré à la maison, alors cela serait une violation de la liberté religieuse d'Omar où il aurait été contraint d'agir contrairement à ses croyances.
Qu'arrive-t-il si on regarde du côté de l'aspect actif? Par exemple, prenons comme exemple Anton qui est un sataniste. Pour être fidèle à ses croyances, Anton doit rendre un culte à Satan jeudi soir prochain avec des amis. Nous avons donc ici affaire à l'aspect actif, c'est-à-dire à quelque chose qu'Anton doit faire pour agir selon ses croyances. Bien entendu, selon le principe de liberté religieuse, Anton demeure toujours libre de participer à ce culte satanique. Cependant, si ce culte nécessitait qu'on y sacrifie un enfant, la réalité serait tout autre. On se rend alors compte que l'aspect actif de la liberté religieuse devient de moins en moins absolu et que le problème devient plus un problème de prohibition que de contrainte, puisqu'on ne peut pas laisser Anton et ses amis tuer un enfant pour rendre son culte. Cette limite se retrouve bien exprimée dans Dignitatis Humanae :
C’est pourquoi le droit à cette exemption de toute contrainte persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer ; son exercice ne peut être entravé, dès lors que demeure sauf un ordre public juste (DH 2).Nous voyons donc que Dignitatis Humanae essaie de maintenir un certain équilibre, puisque l'immunité de contrainte entraîne aussi en partie aussi l'immunité de prohibition. Cependant, l'immunité de prohibition est davantage contingente puisqu'elle peut être limitée afin de conserver l'ordre public. Cependant, il ne faut jamais confondre ce droit à ne pas subir la contrainte avec le droit à propager l'erreur. L'erreur n'a pas de droit, elle peut seulement être tolérée pour conserver l'ordre public dans certaines circonstances.
Et où la continuité dans tout ça? C'est ce que nous verrons bientôt dans la deuxième partie de l'article.
églisedieucatholiquebien
Articles similaires

Réflexions bibliques du 30 novembre 2014 : Premier dimanche de l'Avent
Lectures de la liturgie
Premier dimanche de l'Avent
La nouvelle année de l’Église commence par un plaidoyer pour la visite de Dieu. « Ah ! si vous déchiriez les cieux, si vous...

Chrétiens et Catholiques
Vous remarquerez que sur mon blogue, je parle de Catholique et de Chrétiens. Pour certaines personnes, la différence n'est pas évidente. Voici donc un bref aperçu des divisions (toujours malheureuse)...

Fête de saint Luc : 18 octobre
Le 18 octobre, l’Église catholique célèbre la mémoire de saint Luc, l’un des quatre évangélistes qui ont rédigé les Évangiles canoniques. Saint Luc est aussi l’auteur des Actes des Apôtres,...

Dédicace de la Basilique Sainte-Marie Majeure: 5 aout
Chaque année, le 5 août, l'Église catholique célèbre la dédicace de la Basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome, l'une des quatre basiliques majeures et un des sanctuaires mariaux les plus importants de...

Le Concile de Latran I (1123) : Réforme de l'Église et affirmation de l'indépendance ecclésiastique
Le Concile de Latran I, tenu en 1123 à la basilique Saint-Jean-de-Latran à Rome, est le neuvième concile œcuménique de l'Église catholique et le premier à se tenir en Occident....

Comment interpréter la Bible – Partie 3
Nous voilà donc rendu à la partie finale qui demande encore un peu de recherche. En tant que Catholique, nous avons la chance de pouvoir vérifier nos interprétations avec celles...

Fête de Saint Léon le Grand: 10 novembre
Le 10 novembre, l’Église catholique célèbre la fête de Saint Léon le Grand, un pape qui a marqué l’histoire de l’Église par son influence, sa sagesse et sa compassion.Un Pape...

Le latin: la langue de l'Église (2/5)
Le concile Vatican II n'a pas aboli le latin
Le bienheureux pape Jean XXIII, celui même qui a convoqué le concile Vatican II, nous a laissé pour monument à sa mémoire...

Fête de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de l'Église: 20 mai
La dévotion à la Vierge Marie sous le titre de "Mère de l'Église" a été solennellement reconnue et encouragée par le pape Paul VI lors de la clôture de la...

Partager sa Foi : Respecter le sujet
Que ce sois dans une discussion, un forum ou une correspondance, on doit toujours tenter de respecter le sujet de discussion. Si le sujet n'est pas clair ou tend à...

Le Canon de la Bible : Les dates importantes - Partie 1/3
La définition du Canon de la Bible a été un processus par lequel l’Église a reconnu les livres inspirés et qui s’est réalisé sous l’assistance du Saint-Esprit. Voici un résumé...

Le Concile Vatican II (1962-1965) : Renouveau et ouverture de l'Église au monde moderne
Le Concile Vatican II, tenu de 1962 à 1965, est le vingt-et-unième concile œcuménique de l'Église catholique. Convoqué par le pape Jean XXIII, ce concile est l'un des événements les...

Saint Étienne de Hongrie: 16 aout
Le 16 août, l'Église catholique célèbre la fête de Saint Étienne de Hongrie, un souverain exceptionnel dont le règne a marqué l'histoire de la Hongrie et de l'Église. Né vers...

La peine capitale: le pape François et la Tradition sont justes
Photo: Ye Jinghan sur Unsplash
Au cours des deux derniers jours, la peine capitale a été un sujet brûlant. Certains prétendent que l'enseignement précédent de l'Église était faux, tandis que d'autres...

Fête de Saint Clément de Rome: 23 novembre
Le 23 novembre marque la célébration de la fête de Saint Clément, un évêque de Rome et Père de l'Église, vénéré pour son leadership sage et sa dévotion profonde. En...

Fête de Saint Fabien: 20 janvier
Saint Fabien fut le 20ème pape de l'Église catholique, régnant de 236 à 250 avant de mourir en martyr sous la persécution de l'empereur Dèce. Son élection, d'une origine divine,...

Comment répondre aux chrétiens qui sont « Spirituels, mais pas religieux » ?
Au cours des dernières années, j'ai rencontré un bon nombre de chrétiens qui prétendaient être « spirituels, mais pas religieux ». En d'autres termes, ils ne s'identifient pas à une...

L'Église catholique est-elle contre la Bible?
Une des critiques les plus fréquentes de l'Église catholique est qu'elle enseignerait à ses membres à lui faire confiance, au lieu de faire confiance aux Saintes Écritures. Ou encore, que...

Apologétique avec saint Irénée
Saint Irénée de Lyon
Les Pères de l'Église sont des ressources indispensables pour l’apologétique catholique, puisqu’il nous aide à combler le fossé entre notre époque et celle des apôtres. Non seulement...

Infaillibilité pontificale : Infaillibilité et impeccabilité
L’Église a toujours cru en l’infaillibilité du Pape bien que cette doctrine n’ait été explicitement définie qu’au premier concile de Vatican (1869-1870). Pour avoir parlé avec plusieurs personnes à ce...