L'Immaculée Conception dans la tradition grecque

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Le reproche classique fait par les théologiens des Églises séparées d'Occident et d'Orient au dogme de l'Immaculée Conception de la Vierge Marie, défini par Pie IX on 1854, est d’être une innovation doctrinale inconnue de l'ancienne Église chrétienne. Pour répondre à cette objection, l'apologiste catholique n'a pas seulement la ressource de faire appel à la notion du développement dogmatique, tel que l'explique une saine théologie. Il peut aussi apporter des témoignages nombreux de l'ancienne tradition qui, sans exprimer le dogme dans les termes mêmes de la définition, en donnent cependant des formules équivalentes ou le contiennent virtuellement. Ces témoignages se rencontrent surtout chez les Docteurs orientaux, particulièrement dans les homélies des orateurs byzantins. Il est vrai qu'on ne fait pas toujours suffisamment ressortir leur valeur, soit parce qu'on les noie dans une masse de textes qui ne prouvent rien, soit parce qu'on ne prête pas assez attention aux diverses manières dont les anciens Docteurs pouvaient rendre l'idée dogmatique, vu la terminologie théologique de leur époque. 

Car il y a diverses manières d'exprimer la même vérité. Le dogme est immuable, mais le vêtement verbal dont on le recouvre peut varier à travers les siècles et être plus ou moins bien ajusté. C'est la tactique des ennemis de la foi catholique de ne tenir compte de ces variations de formules que pour conclure à une divergence de fond. Ils se montrent en général incapables de découvrir sous l'écorce de la lettre qui change la substance de vérité qui ne change pas.

Prenons, par exemple, le dogme du péché originel, si intimement lié à celui de l'Immaculée Conception. Ce terme de « péché originel » ne se rencontre presque jamais dans les écrits des Pères grecs et des Docteurs byzantins. Ils désignent la même chose par d'autres noms ; ils parlent d'une malédiction qui englobe tout le genre humain, par suite du péché personnel du premier père ; d'une souillure qui fonde la nécessité du baptême pour tous, même pour les petits enfants. Ils insistent surtout sur les conséquences de cette tare originelle et désignent souvent la cause par ses effets qui sont la privation de la grâce sanctifiante et de l'amitié de Dieu, la perte des dons préternaturels d'impassibilité, d'immortalité et d’immunité de la concupiscence, l'esclavage du démon. Ils n'agitent guère la question de savoir en quoi consiste précisément l'essence du péché originel considéré comme distinct des châtiments qu'il nous a mérités. 

Les expressions variées par lesquelles ces Docteurs ont l'habitude de désigner ce que nous appelons le péché originel doivent être constamment présentes à l'esprit de quiconque veut rechercher leur pensée sur l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge.

L'Immaculée Conception n'étant pas autre chose que la préservation pour Marie du péché originel, dès le premier instant de l'union de son âme et de son corps, en vue des mérites du Sauveur, on devine que ces Docteurs ont pu manifester leur foi au privilège de la Mère de Dieu d'un grand nombre de manières. 

Tout d'abord, s'il en est parmi eux qui enseignent que Marie a été exempte de toute souillure de l'âme et du corps; qu'elle n'a pas été impliquée dans la malédiction et la condamnation de la nature humaine et que seule, parmi les descendants d'Adam, elle a été bénie ; que dès le premier instant de sou existence elle a été une créature nouvelle, semblable, à Adam et à Ève avant la chute, et que seule elle a réalisé le type idéal de l'humanité, nous serons en droit de considérer ceux qui parleront ainsi comme des témoins de premier ordre du dogme catholique.

Remarquons ensuite que, du moment que les Pères grecs et les orateurs de l'époque byzantine distinguent à peine le péché originel de ses conséquences, que plusieurs même semblent confondre celles-ci avec celui-là, il clair que pour eux qu’exempter Marie des diverses suites de la faute originelle équivaudra à l'exempter de la faute elle-même. Nous pourrons dès lors trouver des affirmations équivalentes du dogme, en premier lieu, dans les textes qui déclarent que la Theotokos n'était pas soumise à la loi de la mort ; qu’elle est morte pour ressembler à son divin Fils, et que d’ailleurs, comme lui, elle a ignoré la corruption du tombeau, cette réduction en poussière, châtiment direct du péché. Plus importants en eux-mêmes et non moins probants seront les passages qui diront ou supposeront que, dès le premier instant de son existence, la Vierge a été justifiée.

S’il est difficile de voir dans l’exemption des douleurs de l’enfantement une preuve de l’Immaculée Conception, à cause de la naissance miraculeuse de Jésus, par contre, l’immunité de la concupiscence suppose en Marie l’absence de la faute originelle, surtout si l’on dit qu’en elle cette immunité était comme naturelle.

L’esclavage du démon est une conséquence du péché originel que plusieurs auteurs font vivement ressortir. Si ces auteurs proclament en même temps l'indépendance absolue de la Vierge à l'égard du Malin, ne serait-ce pas un indice de leur foi à l'Immaculée Conception ? 

Il est une autre série de témoignages, innombrables ceux-là, qu’on peut appeler indirects, parce qu'ils ne contiennent que virtuellement l'idée dogmatique, et qu'il faut la faire apparaître à l'aide du raisonnement. C'est le cas des nombreuses épithètes que les orateurs byzantins et la liturgie grecque donnent à Marie, pour exprimer sa sainteté suréminente et sa pureté immaculée. On peut tirer aussi par voie de déduction la doctrine de l'Immaculée Conception de principes tels que ceux-ci : « En Marie tout est extraordinaire. — Elle a été trouvée digne de Jésus. — Après Dieu, elle est la première en pureté et en sainteté. — Par son intermédiaire, l'antique malédiction qui pesait sur le genre humain a été levée, et l'homme a été réconcilié avec Dieu. » Ces affirmations et autres semblables contiennent le dogme d'une manière trop implicite pour qu'elles suffisent à porter la conviction dans tous les esprits. Aussi convient-il de les éclairer à la lumière de témoignages plus précis. 

Recueillir toutes les attestations de la foi de l'ancienne Église grecque au privilège de Marie est une entreprise aussi longue que délicate. Il faut se garder de voir dans les textes ou trop ou trop peu. Certains théologiens influencés par leurs tendances apologétiques ont exagéré la portée doctrinale de certaines épithètes et de certaines comparaisons bibliques qui ne visent que la virginité perpétuelle de la Vierge-Mère. D'autres ont atténué plus que de raison la valeur démonstrative de certains passages, qu'ils n'ont pas bien situés dans leur contexte, ou qu'ils ont examinés indépendamment de la doctrine générale des auteurs auxquels ils sont empruntés. Nous tâcherons d'éviter les défauts des uns et des autres dans les articles qui suivront.


Source: Martin Jugie, Notre Dame, tome premier, 1911, p.41-42

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