Le questionnement moral chez le chrétien provient de la proclamation des mystères de la foi. Cependant, tous ne sont pas au même point dans leur cheminement moral lorsqu’ils reçoivent l’annonce de cette Bonne Nouvelle. C’est à cause de cela qu’il faut prendre en compte ce que le synode des Évêques, qui a eu lieu à Rome en 1980, appelle la loi de la gradualité.



La loi de la gradualité est un principe qui voit la perfection morale comme un cheminement. Le chrétien est donc appelé à poursuivre continuellement sa démarche de conversion jusqu’à ce qu’il atteigne le détachement complet au mal et la pleine adhésion au bien. On ne peut pas demander à une personne ayant développé des années d’habitude de vices de changer totalement du jour au lendemain. Il est possible que cette personne ait à franchir plusieurs étapes successives, peut-être imparfaites, avant d’atteindre la pleine adhésion aux exigences du plan divin.

N’y a-t-il pas là un certain danger de diminuer les exigences de l’interpellation morale en l’adaptant trop à la situation du sujet? Non, car selon cette « loi », les exigences fondamentales ne sont pas diminuées. Cependant, il faut aussi accepter que toute progression humaine passe par une certaine temporalité. Le chrétien doit donc toujours demeurer en progression vers le bien authentique, même si des erreurs de parcours surviennent. Il ne doit pas s’arrêter à un certain stade où il serait confortable dans son imperfection, car cela ne serait plus l’authentique loi de la gradualité, car il y aurait là réellement une diminution des exigences morales.

Comme l’expliquait bien le cardinal Ratzinger (aujourd’hui Pape Benoît XVI) : « La loi de ‘gradualité’ est, sous cette forme, une idée nouvelle du Synode, devenue l’une de ses perspectives les plus profondes, et qui demeure présente dans toutes les questions particulières. Avec cette idée de ‘gradualité’ est abordé le thème de ‘l’être en chemin’, concrétisé au niveau de la connaissance et de la pratique morale. On déclare que la voie chrétienne toute entière est une ‘conversion’ qui se produit à travers des pas progressifs. Elle est un processus dynamique, qui progresse peu à peu vers l’intégration des dons de Dieu et des exigences de son amour absolu et définitif… C’est pourquoi s’impose une progression pédagogique, de manière que les chrétiens, à partir de ce qu’ils ont déjà reçu du mystère du Christ, soient conduits avec patience vers une connaissance plus pleine de ce mystère, et vers sa plus pleine intégration dans leur vie et leur comportement. Ainsi il pourra arriver que, dans l’esprit de l’amour et de la crainte de Dieu, mais sans trouble, le cœur et la vie de l’homme, grâce à la libération progressive de l’esprit et du cœur, s’ouvrent tout entier au Christ »[ J. RATZINGER, Documentation Catholique, 1981, p. 387-388.].

La loi de gradualité n’est pas une gradualité de la loi morale comme s’il y avait plusieurs niveaux d’exigence que chacun aménagerait à sa guise. La notion de gradualité s’applique au cheminement existentiel de croissance des sujets et non à la loi morale qui elle ne comporte pas de degrés. La conscience subjective ne peut être le juge ultime de la loi objective ni justifier ses fautes sous prétexte que le bien lui semble hors d’atteinte. Comme l’explique Benoît XVI à Peter Seewald à propos des orientations d’Humanae vitae : « Nous sommes pécheurs. Mais nous ne devons pas assumer ce fait comme un exemple contre la vérité quand cette haute morale n’est pas vécue » ( J. RATZINGER, Lumière du monde).