La peine capitale: le pape François et la Tradition sont justes

Photo: Ye Jinghan sur Unsplash

Au cours des deux derniers jours, la peine capitale a été un sujet brûlant. Certains prétendent que l'enseignement précédent de l'Église était faux, tandis que d'autres disent que le pape François est un hérétique. Aucune de ces positions ne tient la route. Les deux ont leur terrain pour jouer et travailler en harmonie en utilisant une herméneutique de la continuité. Comme le note le père Thomas Petri, OP : “le changement du pape François absolutise la conclusion pastorale faite par Jean-Paul II. » Le père Jay Scott Newman semble être d'accord sur le principe: « Ne soyez pas consterné par les gros titres qui crient que le pape François a fondamentalement changé une doctrine de l'Église catholique. Il n'a pas fait ça et une telle chose est impossible. »

La question est la modification du catéchisme 2267 qui indique que la peine capitale est inadmissible (c'est le mot clé). Je vais inclure les différences textuelles à la fin, mais d'abord, parlons de quelques principes.

Principes concernant la peine capitale

Permission à une puissance

L'Église n'a jamais dit que la peine capitale est un bien. Cependant, elle a affirmé que l’État avait le pouvoir de l’infliger pour protéger la société. L'exemple le plus clair en est que le pape Innocent III exigeait que certains hérétiques qui cherchaient la réconciliation avec l'Église acceptent la proposition suivante : « Le pouvoir séculier peut, sans péché mortel, exercer le jugement du sang, pourvu qu’il châtie par justice et non par haine, avec sagesse et non avec précipitation ».

En affirmant qu'ils ont un tel pouvoir, il ne dit rien sur le moment où ils devraient ou ne devraient pas l'exercer. Affirmer l'existence d'un pouvoir n'implique pas que ce pouvoir doit être utilisé. Par exemple, on pourrait affirmer qu'un prêtre a le pouvoir d'ordonner un autre prêtre tout en affirmant simultanément qu'un prêtre ne devrait JAMAIS exercer ce pouvoir. (Il y a une véritable question théologique à propos des prêtres ordonnant d'autres prêtres. Boniface IX a donné en 1400 à un abbé, qui n'était pas prêtre et non évêque, la permission d'ordonner des prêtres dans la bulle Sacrae religionis).

Le magistère ordinaire a répété qu'un gouvernement avait le pouvoir de prononcer une condamnation à mort. Cependant, aucun document infaillible individuel ni aucune tradition cohérente du magistère ordinaire n'a déclaré que nous devions affirmer que non seulement un pouvoir existait et qu’il existerait toujours des cas où cela est nécessaire ou que les États devaient toujours le maintenir.

Le décret d'hier ne nie pas que les États en ont le pouvoir. Il dit qu'il était inadmissible ou illicite d'utiliser ce pouvoir. Nous supposons que l'Église continue d'affirmer les choses à moins qu'elle ne dise le contraire. Le fait que cette clarification ait explicitement évité cette question nous laisse supposer que les auteurs continuent d’affirmer l’enseignement antérieur.

Développement

Ce qui reste est un jugement prudentiel sur la question de savoir si un État devrait pratiquer la peine capitale. Les jugements prudentiels sont toujours basés sur des faits contingents sur lesquels les gens peuvent être en désaccord. Cependant, l'Église a le pouvoir d'émettre un jugement prudentiel général lorsque des situations l'exigent. Par exemple, alors qu’il y avait historiquement des États catholiques confessionnels, le jugement prudentiel de ces dernières décennies est qu’il ne devrait pas avoir de tels États. Même principe pour l’usure, qui est l’imposition injuste d’intérêts, qui existe toujours lorsque les taux d’intérêt sont trop élevés, mais dont il a été déterminé avec prudence qu’elle ne s’appliquait pas à tous les intérêts comme elle l’Église l’avait fait il y a quelques siècles.

Le développement des prisons

Une grande partie de l’emprisonnement ou de la peine capitale a toujours été de protéger la société des criminels. Les prisons à haute sécurité actuelles suffisent à protéger la société contre de tels criminels. La lettre accompagnant le changement de catéchisme d'hier dit:


L’enseignement de l’Encyclique Evangelium vitae de Jean-Paul II est d’une grande importance dans ce développement. Le Saint-Père indique parmi les signes d’espérance d’une nouvelle civilisation de la vie « l’aversion toujours plus répandue de l’opinion publique envers la peine de mort, même si on la considère seulement comme un moyen de “légitime défense” de la société, en raison des possibilités dont dispose une société moderne de réprimer efficacement le crime de sorte que, tout en rendant inoffensif celui qui l’a commis, on ne lui ôte pas définitivement la possibilité de se racheter »

Une compréhension plus profonde de la dignité humaine

La doctrine s'est également développée sans jamais contredire le passé. Comme nous avons mieux compris la dignité humaine, nous avons constaté une préférence pour les formes de punition moins violentes: les peines de prison plutôt que les coups de fouet ou la mort. La lettre d’hier qui accompagne le changement cite Jean-Paul II et Benoît XVI:

Jean-Paul II a affirmé [au sujet de Caïn]: « Meurtrier, il garde sa dignité personnelle et Dieu lui-même s’en fait le garant […] » 
Benoît XVI attirait « l’attention des responsables de la société sur la nécessité de faire tout ce qui est possible pour arriver à l’élimination de la peine capitale ». Par la suite, devant un groupe de fidèles, il a formulé ce vœu: « Que vos débats encouragent les initiatives politiques et législatives actuellement promues dans un nombre croissant de pays en vue d’abolir la peine de mort et de poursuivre les progrès importants accomplis afin de rendre le droit pénal plus conforme à la dignité humaine des prisonniers et au maintien efficace de l’ordre public »

L'infaillibilité du catéchisme

Le catéchisme n'est pas infaillible. Il résume la doctrine pour les catholiques. Inévitablement, cela inclura des jugements prudentiels bien fondés qui ne sont pas des dogmes définis de manière infaillible. (En fait, ce ne sont pas tous les points de l’enseignement catholique qui ont un dogme infaillible.) L’utilisation de la peine capitale en est un exemple. Le Catéchisme de Trente souligne que c'est parfois un outil nécessaire pour distribuer la justice. Le Catéchisme de 1992 souligne qu’il n’est admissible que dans de rares cas. Cette révision souligne qu’elle est maintenant inadmissible. Aucune de ces déclarations n'est infaillible et aucune ne contredit directement parce que les trois ont été données en réponse à différentes réalités sociétales.

Cas difficiles

Des cas difficiles existent. Imaginez un seigneur de la drogue qui peut toujours acheter des gardiens de prison dans son pays d'origine. C'est un défi légitime. Jean-Paul II semblait permettre de rares cas de ce genre.

Lorsque l'Église a précisé que la contraception était immorale, elle a lancé un défi aux catholiques. Les méthodes de prise de conscience de la fécondité ont été découvertes et épanouies comme moyen moral d'espacer les naissances. Maintenant, il demande la fin de la peine de mort, qui peut parfois nécessiter une créativité similaire.

Il est clair que les pays hautement développés ont des prisons qui protègent la société des criminels sans les tuer. Nous pourrions peut-être élaborer un traité sur le transfert des prisonniers permettant aux pays riches d’aider certains pays pauvres en détenant des criminels. Je ne pense pas que ce serait commun, mais ce serait une option. Cela pourrait faire partie de ce que ces pays accordent déjà en aide étrangère. Quelque chose comme cela pourrait être le genre de créativité nécessaire pour y arriver.

Le changement du CEC #2267

Comme l’a judicieusement souligné un utilisateur sur Twitter : « L’ancien catéchisme était caractérisé par la suppression progressive de la peine de mort en tant qu’option morale. Cette décision ne fait que formaliser cette suppression progressive. » Examinons les deux versions.

La version précédente

L’enseignement traditionnel de l’Église n’exclut pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort, si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains. 
Mais si des moyens non sanglants suffisent à défendre et à protéger la sécurité des personnes contre l’agresseur, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine. 
Aujourd’hui, en effet, étant données les possibilités dont l’État dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l’a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable " sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants "

La nouvelle version

Pendant longtemps, le recours à la peine de mort de la part de l’autorité légitime, après un procès régulier, fut considéré comme une réponse adaptée a la gravité de certains délits, et un moyen acceptable, bien qu’extrême, pour la sauvegarde du bien commun. 
Aujourd’hui on est de plus en plus conscient que la personne ne perd pas sa dignité, même après avoir commis des crimes très graves. En outre, s’est répandue une nouvelle compréhension du sens de sanctions pénales de la part de l’État. On a également mis au point des systèmes de détention plus efficaces pour garantir la sécurité à laquelle les citoyens ont droit, et qui n’enlèvent pas définitivement au coupable la possibilité de se repentir. 
C’est pourquoi l’Église enseigne, à la lumière de l’Évangile, que « la peine de mort est une mesure inhumaine qui blesse la dignité personnelle » et elle s’engage de façon déterminée, en vue de son abolition partout dans le monde.

Vous noterez que la version précédente disait que de tels cas sont « désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants ». Il n’y a donc qu’un petit pas entre cela et l’inadmissibilité de la nouvelle version.

Conclusion

Autant la Tradition que le pape François sont cohérents en ce qui concerne la peine capitale. Ils admettent tous deux que l'État a le pouvoir d'exécuter des criminels. Ils conviennent tous deux que la peine capitale n'est pas un bien en soi. Ils sont ainsi uniquement différents à savoir si les États doivent exercer ce pouvoir sur la base de situations concrètes.


Cet article est une traduction personnelle de l’article « Capital Punishment: Francis & the Tradition Before Him Are Both Right » de Fr Matthew P. Schneider

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