Saint Jean a-t-il la solution au débat sur la Justification?

l'Apôtre Jean sur la poitrine de Jésus à la Cène
Anonyme, La Cène (17e siècle)
Sommes-nous sauvés par la foi et les œuvres, ou par la foi seule? Cette question est, dans une perspective protestante traditionnelle, la question la plus importante qui divise les catholiques et les protestants. R.C. Sproul a souligné l'importance historique de la question [en anglais]:

Luther a fait son fameux commentaire où il dit que la doctrine de la justification par la foi seule est l'article sur lequel l'église tient ou tombe. Jean Calvin a ajouté une autre métaphore, en disant que la justification est la charnière sur laquelle tout tourne. Au XXe siècle, J.I. Packer a utilisé une métaphore indiquant que la justification par la foi seule est l '  « Atlas sur laquelle toutes les autres doctrines s’appuient ».

Au cours du dernier demi-millénaire d’interventions, il n'y a pas eu de pénurie de débats sur ce que signifie précisément saint Paul quand il dit «que l'homme est justifié par la foi sans les œuvres de la Loi» (Romains 3, 28), ou sur ce que Jacques signifie en disant « que l'homme est justifié par les œuvres et non par la foi seule » (Jacques 2, 24). Il y a eu des débats terminologiques interminables sur ce que Paul voulait dire par « justification », « sanctification » et « œuvres » et sur ce que Jacques entendait par « justifié » et « foi ».

Il n'est pas question de nier le développement qui a eu lieu, même dans l'histoire récente. Comme par exemple la Déclaration conjointe sur doctrine de la Justification et la «Nouvelle perspective de Paul » [en anglais]. Néanmoins, le débat sur la justification est souvent vicié: les catholiques et les protestants lisent les mêmes versets, mais ils apportent avec eux des compréhensions différentes de ce que Jacques et Paul signifient par la terminologie théologique.

Compte tenu de cela, je pensais que ce serait rafraîchissant d’essayer d'aborder la question d’un angle différent de celui auquel nous sommes habitués. Pour comprendre ce que Paul et Jacques disent, nous allons écouter ce que Jean a à dire. Je pense qu’il serait instructif d'examiner les trois questions suivantes (et de les demander à vos amis protestants). Dans chacun des cas, je crois qu'il y a une réponse biblique claire:

1) Pouvez-vous aller au ciel sans aimer Dieu et votre prochain?

Non. Comme 1 Jean 3, 14-15 le dit :

Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est un meurtrier, et vous savez qu'aucun meurtrier n'a la vie éternelle demeurant en lui.

Jean dit pratiquement la même chose aussi au chapitre précédent (1 Jean 2, 9-11). Nous pouvons voir la continuité entre Jean et Paul lorsque Paul pose la même question d'une manière légèrement différente: la foi sans amour est-elle suffisante? Saint Paul répond que non, dans 1 Corinthiens 13, 1-3 :

Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit. Quand j'aurais le don de prophétie, que je connaîtrais tous les mystères, et que je posséderais toute science; quand j'aurais même toute la foi, jusqu'à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien

Donc, les cadeaux spirituels, la brillance théologique, la foi, les bonnes œuvres et même le martyre: toutes ces choses sont sans valeur si vous n’avez pas l'amour. L'amour est nécessaire pour le salut. Si tel n’était pas le cas, si la foi sans l’amour était suffisante pour la justification et le salut, Paul ne pourrait pas la traiter comme si elle ne servait à rien et Jacques ne pourrait pas dire qu'un tel homme demeure dans la mort.

2) Pouvez-vous aimer Dieu sans garder Ses commandements?

Non, comme le dit Jésus à plusieurs reprises en Jean 14-15:

  • Jean 14, 15: « Si vous m'aimez, gardez mes commandements. »
  • Jean 14, 21: « Celui qui a mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime; et celui qui m'aime sera aimé de mon Père; et moi je l'aimerai et je me manifesterai à lui." »
  • Jean 15, 10: «Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi-même j'ai gardé les commandements de mon Père, et comme je demeure dans son amour. »

Jean poursuit avec ces thèmes dans ses épîtres. Par exemple, dans 2 Jean 1, 5-6, il écrit:

Et maintenant je te le demande, Dame, non comme si je te prescrivais un commandement nouveau ; car c'est celui que nous avons reçu dès le commencement, aimons-nous les uns les autres. L'amour consiste à marcher selon ses commandements ; et, c'est là son commandement, comme vous l'avez appris dès le commencement, de marcher dans la charité.

Dans 1 Jean 5, 1-5, il examine les liens entre la foi, l'amour (pour Dieu et pour son prochain) et l'obéissance aux commandements de Dieu:

Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu ; et quiconque aime celui qui l'a engendré, aime aussi celui qui est né de lui. A cette marque nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu, si nous aimons Dieu, et si nous observons ses commandements. Car c'est aimer Dieu que de garder ses commandements. Et ses commandements ne sont pas pénibles, parce que tout ce qui est né de Dieu remporte la victoire sur le monde ; et la victoire qui a vaincu le monde, c'est notre foi. Qui est celui qui est vainqueur du monde, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ?

Donc, pour être sauvés, nous devons aimer Dieu et pour aimer Dieu, nous devons obéir à Ses commandements.

3) Pouvez-vous garder les commandements de Dieu sans faire de bonnes œuvres?

Non. Une des choses que Jésus commande à son Église pour témoigner de l'Évangile est de faire de bonnes œuvres (Matthieu 5, 14-16):

Vous êtes la lumière du monde : une ville, située au sommet d'une montagne, ne peut être cachée. Et on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Qu'ainsi votre lumière brille devant les hommes, afin que, voyant vos bonnes œuvres, ils glorifient votre Père qui est dans les cieux.

Il est impossible d'obéir à cela sans faire de bonnes œuvres. Voilà aussi pourquoi Jésus peut dire des choses comme « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes, parce que je m'en vais au Père » (Jean 14, 12-13). Les bonnes œuvres, comprises de cette manière, découlent de l'amour et de ce que Paul décrit comme « l'obéissance de la foi » (Romains 1, 5; 16, 26).

Ici encore, les épîtres de Jean sont éclairantes (1 Jean 3, 17-18):

Si quelqu'un possède les biens de ce monde et que, voyant son frère dans la nécessité, il leur ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeure-t-il en lui ? Mes petits enfants, n'aimons pas de parole et de langue, mais en action et en vérité.

Conclusion

Nous devons aimer Dieu pour être sauvés. Si nous aimons Dieu, nous Lui obéissons. L'obéissance à Dieu comprend l'exécution de bonnes œuvres. Si chacune de ces trois affirmations est vraie, alors nous devons accomplir de bonnes œuvres pour être sauvés.

Cela laisse deux possibilités pour les protestants:

  • En désaccord avec l'un ou plusieurs des trois points ci-dessus: Ils affirment que l'amour de Dieu n’est pas nécessaire pour le salut ou qu’obéir à Dieu n’est pas nécessaire pour l'aimer ou que les bonnes œuvres ne sont pas nécessaires pour obéir à Dieu. Dans chacun des cas, cela exigerait de sérieuses contorsions bibliques (et logiques) pour tenir cette position.
  • En accord avec chacun des points ci-dessus: Dans le cas, il me semble que les deux côtés du débat sont d'accord sur la question principale. Pour être sauvé, vous devez avoir la foi et faire de bonnes œuvres. Tout ce que nous lisons dans les écrits de Paul ou de l'épître de Jacques doit être interprété d'une manière compatible avec cet enseignement. Ainsi, toute interprétation qui dit que le salut est possible sans les bonnes œuvres doit être rejeté comme incompatible avec l'Écriture.

Cependant, des questions subsistent quant à la façon dont opèrent la foi, les bonnes œuvres et la justification pour le salut du croyant, et la relation précise entre elles. Cependant, après s’être mis d'accord sur la question de base, ces débats périphériques semblent maintenant presque purement académiques. Plus précisément les questions qui ne semblent pas avoir d'impact sur ce que nous croyons au sujet de Dieu, ou comment nous nous comportons en tant que chrétiens. Si cela est vrai, comment est-ce que cela peut être une querelle doctrinale qui vaille la division de l'Église?

Je ne pense pas que ce changement d'approche résout immédiatement le débat sur la justification ou la totalité des différends exégétiques et théologiques qui persistent sur ces questions. Mais j’espère que cela contribuera à mettre les choses dans une nouvelle perspective. Il nous faudrait arriver à une compréhension claire de la raison pour laquelle les bonnes œuvres sont nécessaires au salut, d'une manière qui ne diminue pas la centralité de la grâce et qui ne nécessite pas des pages et des pages de définitions du jargon théologique.


Cet article est une traduction personnelle de l’article « Is St. John the Key to Settling the Justification Debate? » de Joe Heschmeyer.

Commentaires

  1. Il reste que deux possibilité aux protestants dis-tu? Non, en fait pour nous il faut pratiquer ses oeuvres pour être du nombre des sauvés mais non pas parce qu'elles seraient base de la justification mais parce qu'elle l'accompagne. Ainsi, si ceux qui n'aiment pas Dieu ne sont pas sauvés et ceux qui l'aiment sont sauvés ce n'est pas parce que l'amour de Dieu sert de base à la justification mais parce qu'elle manifeste sa réalité. Pour les catholiques si j'ai bien compris foi+oeuvres=justification, pour les protestants foi=justification+oeuvres. Ainsi la Bible peut dire que ceux qui pratiquent des oeuvres sont justifiés et dire en même temps que la foi seule est la cause de leur justification. Donc un protestant peut dire 1) personne n'est sauvé sans aimer Dieu, 2) personne n'est sauvé sans obéir aux commandements, 3) personne n'est sauvé sans pratiquer des bonnes oeuvres ET 4) la foi seule sauve.

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    1. Bonjour Maxime,

      Votre vision est intéressante, car elle a le mérite de donner aux œuvres une place dans l’« équation » de la justification (ce qui n’est probablement une position avec laquelle tous les protestants seraient à l’aise). Pour ce qui est de la vision catholique, je ne l’exprimerais pas selon la formule que vous proposez : foi + œuvres = justification. Premièrement, parce que la foi et les œuvres n’ont pas un rapport identique avec la justification et deuxièmement à cause que le mot « justification » a un sens généralement différent chez les protestants et les catholiques.

      Pour les catholiques, la justification est un processus qui débute par la foi et qui se poursuit tout au long de notre vie par la foi et les œuvres. Pour les protestants, le terme a tendance à se référer exclusivement à la justification initiale. Pour cette dernière (la justification initiale), nous sommes probablement tous deux d’accord pour affirmer qu’elle ne s’obtient que par la foi. Seule la foi peut nous donner cette justification initiale qui ne peut se mériter par aucune œuvre, si grande soit-elle.

      Je me demande ce que vous voulez dire exactement par foi = justification + œuvres. Est-ce que vous parlez seulement de la justification initiale ou si cela s’applique aussi au « processus » complet de justification (…si vous croyez qu’il y a un processus dans la justification). Voulez-vous dire par là que la foi mène à la justification et aux bonnes œuvres ou même que la foi « résulte nécessairement en » ou « cause » les œuvres et la justification?

      Que la grâce de Notre Seigneur soit sur vous

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  2. La vraie foi "cause" les oeuvres et la justification.

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  3. Dans mon expérience, il y a deux visions courantes dans le Protestantisme.

    La première est celle de Luther, qui veut que la foi seule justifie et que les oeuvres n'ont aucun rôle à jouer dans le salut, d'où le malaise de Luther face à l'épître de Jacques. Luther a même déclaré qu'un croyant ne devrait pas hésiter à pécher avec audace, parce que cela conduirait à une plus grande effusion de la grâce du Christ. Beaucoup de Protestants tiennent à cette idée et font valoir qu'une personne est "sauvée" même si elle lutte avec certains péchés. Cette vision conduit inévitablement à l'universalisme.

    L'autre vision est celle qui voit les oeuvres comme le fruit de la foi. À mon avis, elle est en accord pour l'essentiel avec ce qu'enseigne l'Église. L'Église nous dit que nos mérites proviennent de la grâce de Dieu. Sans l'état de grâce, nos mérites sont sans valeur. Il existe une fausse idée très répandue chez les Protestants que les catholiques croient au "salut par les oeuvres" comme si une personne pouvait se sauver elle-même sans la grâce de Dieu. Quoi de plus facile que de détruire la position de son adversaire en la représentant faussement. Quoi qu'il en soit, les Protestants qui tiennent à la vision selon laquelle les oeuvres sont le fruit de la foi conviennent ultimement qu'on ne peut pas être sauvé sans les oeuvres. C'est donc une question de sémantique, du moins en grande partie. Ils rencontrent une difficulté majeure quand il est question de quantifier les oeuvres nécessaires pour démontrer une véritable foi.

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