Apprendre à lire la Bible comme Jésus la lisait

Traduit de l’anglais « Learning to read the Bible the way Jesus did »
par Philipp Jenkins, distingué professeur d’histoire à Baylor Université et auteur du livre « The Great and Holy War: How World War 1 Became a Religious Crusade ».



Il y a plusieurs années, j’ai reçu une révélation étonnante concernant la lecture de la Bible. Aucune lumière éclatante ni de visites angéliques n’étaient impliquées. Je ne fus plus en mesure, toutefois, de regarder le texte biblique de la même manière.

J’étais dans une discussion amicale entre Chrétiens et Juifs rassemblés dans la librairie d’une synagogue lorsque le Rabbi a suggéré que nous consultions une référence biblique particulière. Je me suis porté volontaire pour la trouver et j’ai pris l’ouvrage biblique qui convenait, ou plutôt, la Bible juive, le Tanakh. Aujourd’hui, je sais me repérer plutôt bien dans la Bible, au sens où je sais me situer grossièrement à l’endroit du livre cherché. Quelle horreur ! J’étais complètement perdu dans cet ouvrage qui arrange les livres dans une séquence totalement différente de la tradition chrétienne. S’il vous plaît, ne vous moquez pas de mon ignorance.

La leçon principale que j’ai tirée de cette expérience fut de considérer à quel point nous prenons  pour acquis la structure de la Bible telle que nous la connaissons ainsi que l’impact et l’importance, mais non reconnue, de cet ordre que nous utilisons. Si nous prenons une Bible protestante typique, comme l’édition King James, ou alors n’importe laquelle des centaines d’éditions modernes, elle se présente presque comme une histoire avec un commencement (Genèse), un milieu et une fin. Le fait que nous terminions avec l’Apocalypse suggère qu’une ravageuse fin du monde est la conclusion normale, voire naturelle de l’histoire.

Rien n’est moins éloquent que la fracture entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Nous progressons à travers les Prophètes, terminant avec l’énigmatique Malachie qui préfigure la venue du messager de Dieu. Nous passons ensuite au-delà des quatre ou cinq siècles qui ont eu cours pour enchaîner aisément avec les Évangiles. Cependant, aussi naturel et évident cet ordre puisse-t-il paraître, il porte par sa nature un message chrétien très puissant, à savoir que l’Ancien Testament est maintenant terminé et qu’il attend son accomplissement dans le Christ. Il y a aussi une implication implicitement négative, à savoir qu’il n’y a rien qui soit digne d’intérêt dans les quatre ou cinq siècles qui précèdent la naissance du Christ. On peut présumer que les gens ne faisaient qu’attendre l’arrivée du Messie en retenant leur souffle.

Les Bibles catholiques sont moins sévères dans leur organisation des textes puisqu’elles incluent les livres Deutérocanoniques principalement écrits « entre les Testaments », dans les deux ou trois siècles avant le Christ, notamment Macchabées 1 et 2 et le Livre de la Sagesse. Ceci donne de loin un meilleur sens de la longue continuité entre les écrits judaïques et le monde chrétien qui en émerge. La fracture sévère entre l’Ancien et le Nouveau Testament que les Protestants ont véhiculé depuis Martin Luther en est aussi minimisée. 

Pour revenir à ces Bibles juives: pourquoi sont-elles si différentes ? Le TaNaKh est un accronyme de trois mots, soit Torah (la Loi), Nevi’im (Les Prophètes) et Ketouvim (Les autres Écrits). D’ailleurs, Les Prophètes, non seulement incluent les livres que nous rangeons normalement sous ce libellé, mais aussi les Prophètes dits mineurs, à savoir les livres historiques de Josué, en passant par Samuel 1 et 2, jusqu’à Rois 1 et 2. On peut donc dire grossièrement que ces trois groupes - Loi, Prophète et les Écrits - sont dans un ordre décroissant d’importance et de révérence, même que certains des Écrits, tel qu’Esther, ont seulement trouvé leur place dans le canon juif après de longs débats.

Pour les Chrétiens, connaître cette séquence juive ne relève pas d’une simple importance pour comparer les religions, mais surtout parce qu’elle est de près la même utilisée par Jésus et ses disciples. Jésus lui-même parle de « La Loi et des Prophètes ».

Bien que cet exemple ne soit en aucun cas crucial en lui-même, le cas du mystérieux Zacharie nous montre comment cette séquence a influencé l’attitude de lecture de la Bible des premiers chrétiens. Selon Matthieu et Luc, Jésus parle durement des souffrances infligées tout au long des siècles au fidèles serviteurs de Dieu, en passant par Abel dans la Genèse jusqu’à Zacharie, qui ont péris entre le sanctuaire et l’autel (Mt 23, 34-35; Lc 11, 50-51). Ce sang innocent sera redemandé à cette génération !

Mais qui était ce Zacharie ? Tel que nous l’avons, le texte de Matthieu l’identifie avec le fils de Barachie, ce qui réfèrerait au prophète de l’Ancien Testament qui aurait vécu autour de 500 av. J-C. Le problème est qu’il n’existe aucun témoignage crédible de ce martyr. Nous pourrions dire avec beaucoup de certitude que cette référence à Barachie est soit une erreur de Matthieu ou alors (plus probable) un ajout éditorial très prématuré. Cette erreur cause des problèmes majeurs pour les littéralistes qui s’acharnent jusqu’aux extrêmes pour trouver des explications convaincantes, mais c’est presque certainement ce qui s’est passé. 

Ou alors se pourrait-il qu’il s’agisse du Zacharie père de Jean le Baptiste ? Les Évangiles canoniques ne nous disent rien au sujet du reste de sa vie. Pas plus tard qu’au deuxième siècle, cependant, le texte apocryphe connu sous le nom de Protévangile nous relate comment les soldats d’Hérode ont tué Zacharie pour avoir refusé de dire où se trouvait son fils. Ce Zacharie est aujourd’hui un saint de l’Église Orthodoxe orientale.

Finalement, nous arrivons au personnage dont Jésus parlait certainement, un troisième Zacharie et plutôt différent des deux autres. Dans la Bible hébraïque, l’ordre des livres va de Genèse à Chronique 2, et c’est cette séquence que Jésus connaissait. Le premier martyr dans cet histoire, le premier dont le sang innocent est répandu, est Abel. Le dernier est Zacharie, fils de Joad, qui a été tué par le Roi Joas aux alentours de 800 av. J-C et dont la mort est authentifié en 2 Ch 24, 22. Et comme l’a mentionné Jésus, il périt dans le Temple. Les références de Jésus ne font du sens que si nous réalisons qu’Il voulait dire: « À travers toute la Bible, comme nous Juifs nous l’arrangeons, de la Genèse jusqu’aux Chroniques ». 

La manière dont nous ordonnons et arrangeons un livre détermine comment nous le lisons et comment nous le comprenons. Qu’est-ce que cela voudrait dire pour un chrétien de lire la Bible comme Jésus la connaissait ?


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