Le débat étrange sur la peine de mort (un autre point de vue)

Mon ami Matthieu a récemment écrit un article sur la peine de mort dans lequel il adopte une position contre son abolition. Comme le débat sur la peine de mort est une question sur laquelle les catholiques sont libres d’être en désaccord, j’aimerais exprimer les raisons qui poussent certains catholiques vers une conclusion opposée. Personnellement (et ce n’est vraiment que mon opinion), je suis un peu entre les deux, dans le sens où je ne vois pas la nécessité d’abolir la peine de mort,  mais je ne vois pas non plus de raisons d’y avoir recours, du moins en ce qui concerne les pays dits « développés » comme le Canada ou les États-Unis.

Dans son article  précédent, Matthieu apportait le fait que la dignité humaine était un point important de l’argumentation de ceux qui militent pour l’abolition de la peine de mort. Je crois qu’il y a aussi un autre argument important qui est exprimé dans le catéchisme de l’Église catholique au #2267 :

L’enseignement traditionnel de l’Église n’exclut pas, quand l’identité et la responsabilité du coupable sont pleinement vérifiées, le recours à la peine de mort, si celle-ci est l’unique moyen praticable pour protéger efficacement de l’injuste agresseur la vie d’êtres humains.
Mais si des moyens non sanglants suffisent à défendre et à protéger la sécurité des personnes contre l’agresseur, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine.
Aujourd’hui, en effet, étant données les possibilités dont l’État dispose pour réprimer efficacement le crime en rendant incapable de nuire celui qui l’a commis, sans lui enlever définitivement la possibilité de se repentir, les cas d’absolue nécessité de supprimer le coupable " sont désormais assez rares, sinon même pratiquement inexistants " (Evangelium vitae, n. 56).

Je crois que dans des pays comme le Canada ou les États-Unis, ces conditions pour ne pas avoir recours à la peine de mort sont remplies et donc, la peine de mort ne devrait pas être utilisée. D’ailleurs la peine de mort a été abolie au Canada en 1967, sauf pour les crimes militaires où elle a été permise jusqu’en 1998. De plus, depuis 2001, le Canada refuse même d’extrader un accusé à l’étranger s’il n’obtient pas la garantie que la peine de mort ne lui sera pas appliquée.

Mais, d’un autre côté, je ne vois pas non plus l’utilité de l’abolir, puisque ces conditions pourraient changer dans l’avenir. À mon avis, les seules raisons où il serait nécessaire de l’abolir seraient par exemple pour des  raisons d’iniquité graves ou de corruptions dans le système de justice, où par exemple les plus riches pourraient s’exempter de la peine de mort et non pas les plus pauvres, ou si, par exemple, l’État serait tenté d’utiliser la peine de mort pour alléger les coûts du système judiciaire.

Comme vous pouvez le voir, j’ai une position un peu partagée, mais je voulais seulement apporter une vision complémentaire à la précédente.

Commentaires

  1. Il faut bien s'entendre sur le terme "abolir". Aux États-Unis, un juge a parfois aucun choix que d'imposer la peine de mort puisque dans certaines circonstances la loi l'oblige comme peine minimale. Dans ce cas, l'abolition pourrait signifier le fait de donner au juge la discrétion nécessaire pour déterminer si la peine de mort est le seul moyen de protéger le public. Et je ne peux pas m'imaginer comment il pourrait répondre oui dans un pays développé.

    L'autre jour je discutais de cette question avec Matthieu et j'ai essentiellement repris ce qu'on voit dans le CEC pour justifier ma position selon laquelle la peine de mort est rarement acceptable et jamais dans un pays comme le nôtre. Je pense que seulement des conditions exceptionnelles peuvent permettre d'y recourir : révolutions, guerres, coups d'état, désastres naturels, qui feraient en sorte que l'État serait trop faible pour maintenir l'intégrité du système carcéral.

    Si Matthieu lit ce commentaire, j'aimerais savoir comment il justifie sa position face au numéro 2267 du CEC.

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  2. Merci pour vos interventions. Cela apporte quelques nuances que je n'avais pas donné. Les nuances sont importantes.

    Mon article précédent se voulait uniquement de défendre ce que la Bible enseigne ainsi que le Magistère de l'Église (Tradition). Je voulais insister sur le fait qu'il était une erreur d'argumenter pour l'abolition totale de la peine de mort *en principe* en donnant comme argument que l'homme est créé à l'image de Dieu. En effet, comme l'indique la Bible, Dieu se sert exactement du même argument pour décréter l'institution de la peine de mort. Et 2000 ans de Tradition de l'Église avec plusieurs documents faisant autorité ont enseigné la même chose.

    Voici ce que dit l'ancien catéchisme dit (Catéchisme du Concile de Trente, 1566, Part III, 5, n. 4) :

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    Il est une autre espèce de meurtre qui est également permise, ce sont les homicides ordonnés par les magistrats qui ont droit de vie et de mort pour sévir contre les criminels que les tribunaux condamnent, et pour protéger les innocents. Quand donc ils remplissent leurs fonctions avec équité, non seulement ils ne sont point coupables de meurtre, mais au contraire ils observent très fidèlement la Loi de Dieu qui le défend. Le but de cette Loi est en effet de veiller à la conservation de la vie des hommes, par conséquent les châtiments infligés par les magistrats, qui sont les vengeurs légitimes du crime, ne tendent qu’à mettre notre vie en sûreté, en réprimant l’audace et l’injustice par les supplices. C’est ce qui faisait dire à David [5]: « Dès le matin je songeais à exterminer tous les coupables, pour retrancher de la cité de Dieu les artisans d’iniquité. »

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    Je suis d'avis que ce qui est écrit dans le catéchisme du concile de Trente peut être harmonisé sans contradiction avec ce qui est enseigné dans le catéchisme de 1992 (en partie du moins). Mais l'utilisation du concept de dignité humaine utilisée autant dans la Bible et la Tradition pour justifier la peine de mort, et utilisée inversement pour l'abolir me rend perplexe. Et vous ?

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    1. Il n'y a pas de contradiction, mais rappelons-nous qu'au 16e siècle l'État était beaucoup moins développé, ce qui justifiait un recours plus fréquent à la peine capitale. Cela explique le langage plus permissif de Trente.

      La dignité humaine exige en principe de ne tuer personne. Seul Dieu a droit de vie ou de mort sur un homme. La seule exception est la légitime défense, qui vise à sauver la vie des autres en prenant la vie de celui qui menace de tuer. Ce n'est donc pas vraiment une exception, mais un choix entre deux maux fondé sur la justice. Lorsque les circonstances permettent de protéger une personne sans tuer l'agresseur, il n'est plus question de légitime défense. Il faut toujours qu'il y ait proportionnalité entre le but recherché et le moyen employé.

      Même les abolitionnistes en conviennent qu'on peut être justifié de recourir à la légitime défense si c'est le seul moyen de se protéger. C'est pourquoi personne n'appelle à l'abrogation des dispositions du Code criminel qui autorisent la légitime défense. Ce que les abolitionnistes prétendent, c'est qu'il n'y a aucune circonstance qui peut justifier la légitime défense étatique en recourant à la peine de mort pour protéger la vie humaine. Ils ignorent que tous les états ne sont pas capables de protéger leur population sans la peine capitale. Par exemple en Irak, Syrie ou en Afghanistan, la peine capitale pourrait être vue comme de la légitime défense étatique, puisque les prisons sont régulièrement prises d'assaut par des militants pour libérer leurs camarades criminels, qui reviendront tuer des civils.

      Voilà donc pour la dignité humaine : dans certains cas, non seulement elle permet la peine de mort, mais elle l'exige.

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