Les indices pensables : 21-Sacrifier une loi de la nature ?

Cette image est tirée de la bande dessinée La lumière fatiguée, Tome 4, page 21 de la série : Les Indices pensables

Résumé : Depuis la découverte du Principe de Carnot-Clausius (au XIX°s.) nous comprenons pourquoi, dans l’Univers, tout s’use, vieillit et meurt, depuis le début, d’une façon irréversible, en sorte que l’Univers aura une fin.  Comment allaient réagir les scientifiques dont la philosophie affirmait le contraire ?

Il y avait en Allemagne un savant de renommée internationale qui s’appelait Ernst Haeckel (1834-1919). Ce  médecin, biologiste, était beaucoup plus connu que son ami Darwin, c’est d’ailleurs lui qui, s’appuyant sur sa propre notoriété, en a fait bénéficier les théories de l’évolution et leur auteur qui venait de publier L'Origine des espèces (1) au pays de Goethe. Haeckel est l’inventeur du mot écologie (en 1866) et il faut lui reconnaître des qualités puisqu’il a mieux perçu que d’autres l’unité du psycho-somatique.

Mais cet homme brillant allait tout simplement détester le Principe de Carnot – Clausius, appelé aussi « second Principe de la Thermodynamique », au point de déclarer en public et d’écrire dans son livre Les énigmes de l’Univers : « … Il faut sacrifier ce Second Principe! »

On avait rarement vu de scientifique réfuter l’expérience à ce point, et espérer, à coups de déclarations, abolir une loi de la Nature.
Qu’est-ce qui a pu motiver un tel comportement vis-à-vis du réel ?
Tout simplement un conflit entre deux représentations du monde.

Haeckel n’était pas seulement un honorable homme de science qui observe les phénomènes et les étudie, il était aussi le fondateur d’un groupe philosophique qui avait choisi pour Maître le philosophe Baruch Spinoza (1632-1677).

 Etant donné que dans le vocabulaire de Spinoza on trouve souvent le mot Dieu, on pourrait supposer que ce philosophe parle du Dieu de la Bible (d’autant plus qu’il était d’origine juive.) Mais ce n’est pas du tout le cas : pour lui, comme pour son disciple Haeckel, c’est l’Univers qui est « dieu ».

« Dans la grandiose conception panthéiste de Spinoza, la notion de monde (universum, cosmos) s’identifie avec la notion totale de dieu ; cette conception est en même temps le plus pur et le plus raisonnable monisme… Cette universelle Substance ou ce divin être cosmique nous montre deux attributs fondamentaux : la matière (infinie) et l’esprit (énergie)… » écrivait Haeckel, et selon lui : « matière et énergie se conservent éternellement ».

C’est le monde, la nature, ce qu’il appelle la Substance, voilà ce qui est unique et qui est dieu. « Nature ou Substance ou dieu », « Dieu et le monde sont un seul et même être… » enseignait Spinoza, tout cela c’est la même chose, la même Substance unique (=monos en latin). D’où le nom du groupe de Haeckel : « Monisme ». Ou encore : Monisme de la Substance.

On retiendra donc que Spinoza et Haeckel  avaient fondé toute leur pensée sur une représentation du monde qui était tout à coup devenue impossible, opposée à l’expérience !

La découverte de ce Principe de la thermodynamique transformait leur représentation du monde en conte de fée. Un récit absolument fictif et impossible.

Car Haeckel avait très bien compris que si l’Univers est dieu, alors l’Univers ne peut pas connaître de commencement ni de fin. Il doit impérativement être stable et fixe et éternel, ce qui est radicalement en contradiction avec ce Principe de régression irréversible découvert depuis peu par Carnot et Clausius.

Déjà Haeckel avait réussi le tour de force qui consistait à adapter la philosophie de Spinoza, à la découverte de l’évolution. C’était fort, car pour la même raison, cette représentation du monde était tout à fait fixiste. En effet, si l’Univers est dieu (panthéisme) il ne peut ni évoluer positivement, ni régresser, c’est exactement  ce qu’enseignait Spinoza. Mais Haeckel a eu  recours au bon vieux mythe des cycles éternels.

Il suffisait d’aller puiser dans la vieille cosmogonie  d’Héraclite. Lui-même, rappelle Haeckel, était allé la chercher chez Anaximandre et les pythagoriciens. De son côté  Nietzsche, qui entreprenait la même démarche de rejet du second Principe, affirmait l’éternel retour en puisant aux mêmes auteurs grecs, auxquels il ajoutait les sources iraniennes et les « Lois de Manou ». Il a dit que cet éternel retour était confirmé par les sciences, Hengels le prétendait également.

Mais les sciences ne confirmaient rien de tout cela, au contraire, comme l’explique Clausius :
« On entend fréquemment dire que tout, dans le monde, a un cours circulaire (cycles). Pendant que des transformations ont lieu dans un sens, d’autres s’accompliraient en sens inverse, de sorte que l’état du monde resterait  invariable. Le monde peut donc continuer à subsister éternellement de la même façon. Le second Principe contredit cette opinion de la manière la plus formelle… De là résulte que l’état de l’Univers doit changer de plus en plus dans un sens déterminé. »(2)
Haeckel n’est pas le seul scientifique qui ait réfuté l’expérience quand elle démontrait son erreur, et préféré sa fausse croyance plutôt que la réalité… Nous aurons l’occasion de voir d’autres cas…

(1)Le titre complet du livre de Darwin est : L'Origine des espèces  au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie.

(2)Selon l’astrophysicien James Hopwood Jeans (1877-1946), les univers cycliques sont aussi impossibles que les machines à mouvement perpétuel.

Cette chronique est écrite par Mr Bruno Brunor, auteur des bandes dessinées « Les indices pensables ». Les images que vous voyez sont tirées des bandes dessinées.

Commentaires

  1. Bonjour

    Petit rappel historique.
    1700. Les premières machines à vapeur tournent. Mais personne ne sait ce qui s'y passe. Cà tourne.
    1824. Carnot publie un petit livre. Le seul qu'il publiera. Il explique les échanges qu'il y a dans une machine à vapeur; un moteur à gaz en fait. Sans vraiment le nommer, il approche le principe de la conservation de l'énergie. Et il décrit les échanges de chaleur et d'énergie mécanique dans un moteur à GAZ.
    Son livre est disponible sur internet. Gallica.
    A la page 89, il se pose la question de l'universalité de son raisonnement sur les gaz. Est-il valable pour les liquides? Pour les solides? Pour la congélation de l'eau en glace? Carnot conclut qu'il n'a pas les données pour conclure. Un gaz s'échauffe quand on le comprime. Se refroidit quand il se détend en fournissant de l'énergie. Est-ce la même chose pour les solides? Il décrit ce qui lui manque pour répondre (page 89...)
    1850. Environ. Carnot est mort. Clausius découvre son livre. Il comprend l'importance du raisonnement de Carnot. Et l'universalise. En principe.
    Il me semble qu'il n'a pas bien lu la page 89 et n'a pas fait toutes les vérifications nécessaires.

    Je n'aime pas non plus le second principe. Nommé à tort principe de Carnot. Traduit dans le langage courant, il peut s'énoncer ainsi: Les moyens disponibles pour la forme de vie que nous sommes sont en quantités limitées. La vie disparaîtra faute de moyens.
    Cela justifie l'égoïsme....................................
    La vie, par ses choix dans les domaines de la matière et de l'énergie semble diriger son oeuvre en vertu de ses propres lois.

    Il y a des expériences qui ont été faites. Et d'autres pas.

    luc.lpb@hotmail.com
    Luc Benoit, 35 Zeecrabbe, B 1180 Uccle

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  2. Merci pour ce rappel de l'histoire de la découverte du second Principe de la thermodynamique. On peut le trouver également raconté en Bd dans l'Album La Lumière fatiguée. Que l'on "aime " ou pas ce Principe, il est une des composantes de notre Univers. Et il nous enseigne que dans cet Univers, tout ce qui est composé tend à retourner à son état le plus probable : la poussière, la dispersion, et ce, depuis près de 14 milliards d'années... On peut dès lors se demander comment se fait il que des compositions existent, alors que tout tend à se dé composer ?

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